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maient leur étonnement. La présence des oiseaux ne démentait nullement l’idée de l’îlot. Au contraire.

Ce ne fut que lorsque les nageurs se trouvèrent à cent yards de l’objet brun que son véritable caractère se déclara.

« Pa terra ! cria l’Indien d’une voix sonore et triste — ni îlot, ni banc, ni terre d’aucune espèce — seulement du bois mort !

— Que voulez-vous dire ? demanda Trevaniow.

— Je dis, maître, que c’est la carcasse d’un vieux monguba, depuis longtemps dépouillé de ses membres, et qui a été porté ici sur le courant du gapo. Ne voyez-vous pas ses larges épaules au-dessus de l’eau ? »

L’ex-mineur était aussi mystifié par cette réponse que les autres. Richard seul comprenait.

« C’est le tronc d’un arbre mort, oncle, dit-il, d’un arbre à coton ou monguba, comme l’appelle Munday. Je le vois à sa façon de flotter sur l’eau. Il paraît fortement amarré par les tiges des piosocas. »

Cette explication fut interrompue par une exclamation de l’Indien dont la physionomie prit tout à coup une expression de joie.

« Santo Dios ! s’écria-t-il, en s’élançant hors de l’eau, le Mundrucu doit être fou, patron. Où a-t-il la tête ? Elle est allée au fond du gapo avec le galatea !

— Sainte Vierge ! Pourquoi ? demanda Tipperary Tom, dont le visage s’épanouit devant le joyeux air de l’Indien. Voit-il la terre sèche ?

— Qu’est-ce qu’il y a, Munday ? demanda Trevaniow. Pourquoi dites-vous que vous êtes fou ?

— Quand je pense, patron, que j’ai été assez stupide pour regretter que nous soyons arrivés devant un arbre mort ! — Un grand monguba — assez gros pour faire une montaria, une igarité, un galatea, si vous l’aimez mieux, enfin un grand canot qui nous emportera tous. — Que le Grand-Esprit soit remercié, nous sommes sauvés ! »

Les paroles du Tapuyo furent aussitôt comprises. Une acclamation générale y répondit.

« C’est vrai ! s’écria Trevaniow, c’est justement ce que nous cherchions. Ce gros monguba nous servira parfaitement pour un radeau. Dieu soit loué ! J’espère maintenant revoir la vieille Angleterre ! »

Et bientôt les nageurs eurent commencé l’escalade du tronc flottant. Ils furent aussi heureux qu’ils pouvaient l’espérer dans leurs tentatives d’abordage. Cependant elles ne furent pas sans difficulté ; ils glissèrent plus d’une fois à cause de leurs ceintures natatoires. L’énorme bloc s’élevait de six pieds au-dessus de la surface de l’eau, ce qui rendait l’ascension laborieuse. Une fois installés sur le tronc, les aventuriers se mirent à l’examiner. C’était le fameux bombax des forêts tropicales de l’Amérique.

Il est connu comme appartenant à l’ordre des sterculiads, parmi lesquels on compte plusieurs genres de géants végétaux, tels que le baobab d’Afrique, dont le tronc a quatre-vingt-dix pieds de circonférence ; le singulier manita du Mexique ; le cotonnier de l’Inde, et la fameux tragacanth de Sierra Leone (arbre à gomme).

Les cotonniers de l’Amérique tropicale sont de plusieurs espèces. On les appelle arbres à soie à cause de la laine à grosses soies entourant leurs graines contenues dans des capsules qui ressemblent à celles de la vraie plante à coton (gossypium). Ils sont remarquables par leur taille énorme et pour plusieurs propriétés utiles. Ainsi le bombax monguba de la forêt Amazone a celle de fournir à la construction des igarités (canots). Un simple tronc suffit pour un radeau de vingt tonnes de sucre, et peut porter en outre tout un équipage de Tapuyos. La légèreté de son bois (propriété exclusive aux sterculiads) le rend propre à ce service. Il y en a une espèce, le ochroma des Indes occidentales, assez légère pour qu’on l’ait substituée au liège et dont on se sert pour faire des bouchons.

La soie, ou coton, extraite des cosses, bien que d’une excellente qualité en apparence, ne peut malheureusement être bien travaillée par la fabrication. Elle manque de résistance et ne fournit pas un seul fil sur lequel on puisse compter. On l’emploie généralement pour rembourrer les matelas et les meubles, canapés, fauteuils, etc. Les Indiens de l’Amazone s’en servent souvent pour bourrer leurs fusils.

Une particularité du monguba, commune à d’autres sterculiads, est son habitude d’avoir des « boutées ».

Il est vrai que plusieurs autres partagent cette excentricité, mais pas à un si grand degré. Quelques cotonniers ont des excroissances énormes à leurs troncs, sortes de planches minces, ligneuses, couvertes d’écorce comme le tronc lui-même, et renfermant entre deux