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qui paraîtra plus étrange encore, le fameux upas de Java est un rejeton de la même famille des atrocarpods ! De même que dans une famille il y a de bons et de méchants enfants, de même il y a là des arbres produisant une nourriture et une boisson saines, et d’autres qui renferment dans leur moelle les plus dangereux poisons.

Le massaranduba n’est pas la seule espèce connue sous la dénomination de palo de vaca ou arbre-vache.

Il y a plusieurs arbres ainsi appelés, dont la moelle est d’une nature laiteuse et plus ou moins innocente. Quelques-uns produisent un lait agréable au goût et très nutritif, tel que le hya-hya (Tabernæmontana utilis) : ce dernier appartient à l’ordre des apocynæ ; il y en a un autre, celui des sapotacæ, qui est rangé aussi dans les arbres-vaches. Le massaranduba lui-même était autrefois classé dans les sapotods.

C’est un des plus énormes arbres de la forêt Amazone, ayant plus de deux cents pieds de hauteur, et dont le sommet ressemble à un dôme immense. Des blocs de cent pieds de longueur, sans une cassure, ont été souvent abattus de la souche pour être sciés en planches. Son bois est très dur et très finement granulé.

Comme beaucoup d’arbres de la forêt Amazone, il est d’habitude solitaire — c’est-à-dire par rapport à sa propre espèce — deux ou trois ou une demi-douzaine de ses semblables au plus croissant dans le parcours d’un mille.

Il est aisément reconnaissable à son écorce rougeâtre déchiquetée et fortement ridée, dont les Indiens tirent une teinture d’une sombre couleur rouge. Le fruit a environ la grosseur d’une pomme et renferme une pulpe riche et juteuse, extrêmement agréable au goût, et très appréciée de ceux qui peuvent s’en procurer. Ceci est le « pain » que le Mundrucu avait promis à ses compagnons affamés.

Mais le plus singulier et le plus important produit du massaranduba est le jus laiteux que l’on obtient en faisant une incision dans l’écorce ; alors la moelle blanche s’échappe en ruisseau que l’on recueille aussitôt dans une calebasse ou dans un vase. On dirait, à sa couleur et à son épaisseur, une belle crème, et sans son odeur légèrement balsamique, on croirait qu’elle arrive tout juste de la laiterie.

Après une courte exposition à l’air, elle se coagule et s’épaissit comme du fromage. Coupée avec de l’eau, elle ne prend pas si rapidement. Les naturels en font usage comme de lait avec leur farinha ou pain de maïs. Ils l’emploient aussi avec le thé, le chocolat et le café. Beaucoup de personnes lui donnent la préférence sur la vraie crème, à cause de son goût aromatique.

Le lait de massaranduba est très recherché sur les territoires tropicaux, espagnols et portugais, de l’Amérique du Sud.

Jamais le fréquent usage qu’on en fait dans ces pays n’a été nuisible : aussi on peut regarder la vache végétale comme une des plus singulières et des plus utiles productions de la généreuse nature.

C’était vers un arbre de cette espèce que se dirigeaient les nageurs. Ils furent quelque temps avant d’arriver sous ses larges branches. Il ne croissait pas sur la lisière de la forêt submergée, mais à deux cents yards environ dans l’intérieur.

Comme on pouvait s’y attendre, le tronc et les membres étaient surchargés de parasites, dont beaucoup appartenaient à l’espèce des ilianas. Les grimpeurs facilitèrent l’ascension, et bientôt nos aventuriers furent commodément installés sur les branches. Les feuilles épaisses, de forme oblongue, et tournées en haut, dont plusieurs avaient presque un pied de longueur, les préservaient des ardeurs du soleil, toujours à plusieurs degrés au-dessus de l’horizon.

Comme l’Indien l’avait présumé, l’arbre était en pleine production, et peu après, ses « pommes » réjouissaient des palais tout disposés à proclamer leur excellence, leur chair eût-elle été moins savoureuse qu’elle ne l’était en effet.

Munday ne songeait qu’à procurer à ses camarades le régal qu’il leur avait promis ; il s’occupa donc de faire une douzaine d’incisions avec son couteau dans l’écorce de l’arbre, puis il plaça sous chaque blessure une noix de sapuçaya détachée des ceintures natatoires.

On n’eut pas longtemps à attendre le résultat de ses opérations. Au bout de vingt minutes, chaque personne tenait à la main un péricarpe plein d’une crème qui ne demandait pas de sucre pour être délicieuse.

Contents d’avoir cet excellent souper, nos aventuriers ne se demandèrent point si la vache des forêts leur donnerait le lendemain à déjeuner — mais l’Indien leur apprit qu’un