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L’idée fut unanimement trouvée excellente. L’Indien lui-même en reconnut la sagesse et la supériorité sur la sienne.

Ce plan demandait peu de préparatifs : il ne s’agissait que de se précautionner des ceintures de natation, et de redescendre dans l’eau en se guidant sur la lisière des arbres.

On se remit en route.

Ils avançaient à raison d’environ un mille à l’heure. S’ils avaient pu continuer sans interruption, ceci aurait donné dix ou douze milles à la fin de la journée ; et deux ou trois jours auraient pu les amener de l’autre côté de la lagune ; mais il fallait s’arrêter de temps en temps pour prendre du repos : ce qu’ils faisaient en s’accrochant aux branches qui pendaient au-dessus d’eux sur leur chemin.

Leurs progrès furent souvent arrêtés par la plante du piosoca, l’énorme lis aquatique déjà décrit, dont les feuilles circulaires, couchées le long de la surface de l’eau, se touchaient presque, tandis que les tiges épaisses formaient en dessous des nœuds qui rendaient très difficile aux navigateurs d’avancer. Ils trouvèrent ainsi des champs de ces lis, ayant plusieurs acres d’étendue. Plusieurs fois ils durent en faire le tour, ce qui allongea énormément leur voyage, en les forçant à décrire des cercles de plusieurs mètres ; aussi n’avaient-ils pas gagné plus de trois milles, lorsqu’il fallut songer à faire halte pour la nuit.

Ce n’était ni l’heure ni la fatigue qui leur donnaient ce conseil, mais la faim.

« J’ai faim, patron, dit le Mundrucu, il faut souper.

— Souper ! répéta Trevaniow, comment ? Je vois des arbres et beaucoup de feuilles, mais pas de fruits. Que mangerons-nous ?

— Nous avons du lait, maître, si vous ne mettez pas obstacle à ce que nous passions la nuit sur un arbre peu éloigné.

— Du lait ! s’écria Tipperary Tom. Oh ! monsieur Munday, ne tentez pas un homme par l’espoir d’une gourmandise qu’il est impossible d’obtenir ici, quand nous sommes à cent milles et bien plus de la queue d’une vache !

— Vous vous trompez, monsieur Tipperary ; il y a des vaches dans les eaux du gapo aussi bien que sur terre. Vous les avez vues vous-même, comme nous descendions la rivière.

— Vous voulez dire la vache marine ? »

L’Irlandais faisait allusion au « vacca marina » ou « manatee », le « peixe boi » des Portugais, dont plusieurs espèces habitent les eaux de l’Amazone.

« Mais sûrement, reprit l’Irlandais, ranimai glissant ne pourrait être trait, si nous en attrapions un ; et puis nous n’en prendrions pas le temps, lorsque, en retirant la peau de dessus la carcasse, nous pourrions avoir quelque chose de bien plus nourrissant sous la forme d’une tranche de viande.

— Là-bas, dit le Mundrucu en montrant le sommet des arbres, est la vache qui nous fournira du lait et du pain pour notre souper. Ne voyez-vous pas le massaranduba ? »

Tous les yeux se tournèrent dans la direction indiquée par l’Indien.

D’abord on ne vit rien de remarquable. Il n’y avait qu’une ligne de feuillage s’élevant au-dessus de l’eau et courant en avant et en arrière, aussi loin que leur vue pouvait s’étendre. Ici et là, un sommet s’élevait au-dessus des autres — quelque arbre d’une espèce différente, sans doute.

En suivant les indications de leur guide, nos aventuriers parvinrent, après avoir un peu levé la tête, à distinguer un arbre d’un aspect tout particulier, s’élevant tellement au-dessus des autres, qu’il semblait un géant au milieu de pygmées.

C’était le massaranduba de l’Amazone, un des arbres les plus remarquables qui existent même dans une forêt où tant d’espèces étranges abondent.

Les paroles du Mundrucu étaient encore un mystère pour Tipperary Tom et les autres. Comment allait-il trouver du pain et du lait ?

Trevaniow et le jeune Richard seuls savaient ce qu’il voulait dire. Ce dernier regarda, avec la plus grande joie, le sommet feuillu planant au-dessus des autres et qui promettait de leur fournir un excellent souper.

Le massaranduba est le fameux palo de vaca, ou « arbre-vache » de l’Amérique du Sud, appelé aussi arbol del leche, ou « arbre à lait. »

Il a été décrit par Humboldt, sous le nom de galaclodendron, bien que plus tard les botanistes l’aient rebaptisé de celui de brosimum.

Il appartient à l’ordre naturel des Alrocar-pods, le même — ce qui paraîtra une singulière coïncidence — qui renferme le célèbre fruit à pain. Ainsi nous avons un arbre produisant du pain et un autre du lait, intimement alliés par les affinités botaniques. Ce