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Nos aventuriers, fatigués, n’étaient que trop disposés à adopter cet avis. Le Mundrucu fit encore un effort pour apercevoir le sommet des arbres, puis, le voyant inutile comme les autres, il se tint à son tour immobile sur l’eau.

Une heure environ s’écoula. Les nageurs, aussi parfaitement à l’aise sur leur couche liquide que s’ils reposaient sur le gazon frais d’une prairie, passèrent le temps à examiner le ciel ; car, s’il se chargeait de nouveau, leur situation devenait pire que jamais, puisqu’ils auraient perdu un temps précieux. Munday regardait le zénith dans un espoir différent : il essayait de découvrir la déclinaison du disque du soleil.

Tout à coup il pria ses compagnons de se tenir tranquilles, afin qu’il n’y eût pas de trouble sur l’eau, puis il sortit son couteau de sa poche et le tint de façon que la lame sortît verticalement au-dessus de la surface ; il le surveilla alors avec des yeux anxieux, comme ceux d’un philosophe qui épie les effets de quelque combinaison chimique.

Au bout d’un peu de temps, il eut la satisfaction de découvrir une ombre. La lame, bien balancée et retournée plusieurs fois, jetait une réflexion oblique sur l’eau, d’abord légère, mais graduellement plus allongée à mesure que l’expérience avançait. Étant enfin convaincu de pouvoir désormais distinguer l’ouest de l’est, le Tapuyo remit son couteau dans sa gaine, et, criant à ses compagnons de le suivre, il s’élança dans la direction indiquée par l’acier, c’est-à-dire vers l’est.

Il s’assurait de temps en temps qu’il ne s’écartait pas de la bonne direction en répétant l’expérience du couteau. Peu après, il n’eut plus besoin de consulter son singulier cadran solaire, ayant découvert un guide plus sûr dans les ramilles de la forêt, qui vint à surgir le long de la ligne de l’horizon.

Le soleil était près de se coucher, lorsqu’ils nagèrent parmi les branches inclinées pour grimper de nouveau dans le sommet des arbres. Sans le besoin qu’ils avaient de toucher à un port quelconque, ils eussent été bien tristes, en s’apercevant qu’ils se trouvaient juste au nid où ils avaient perché la nuit précédente.

Le guariba noyé, que Munday avait transporté du milieu de la lagune, fournit au souper. Au moment du débarquement, il arriva un incident qui mérite d’être rapporté. La bienvenue leur fut souhaitée par une série de cris et de caquetages qui ne pouvaient sortir que du gosier d’un singe coaïta, et qui exprimaient un contentement extrême. En effet, le pauvre compagnon qu’ils avaient abandonné oubliait, dans la joie de les revoir, de leur faire sentir leur ingratitude.

Découragés par le mauvais succès de leur expédition aquatique, nos aventuriers demeurèrent dans l’arbre jusque vers midi, le lendemain, cédant à une sorte de lassitude insouciante, et très voisine du découragement et du désespoir.

Cependant, à mesure que les fatigues du corps se calmaient, l’état des esprits s’améliorait, et, avant que le soleil eût atteint son méridien, ils avaient recommencé à deviser sur les dispositions à prendre pour échapper à leur situation. Risqueraient-ils une autre tentative ? Essayeraient-ils encore de traverser la lagune ? Quelles chances avaient-ils de plus que le jour précédent ? Aucune. Ils étaient tout aussi menacés de s’égarer une seconde fois, seulement ils pouvaient ne pas sortir aussi heureusement d’affaire.

Le Mundrucu s’abstenait de donner son avis ; son silence et ses regards sombres montraient qu’il était tout contristé et humilié d’avoir échoué la veille.

Pourtant personne ne songeait à lui reprocher son échec ; seulement, il faut l’avouer, la confiance de ses camarades en son jugement n’était plus aussi grande, bien qu’ils lui reconnussent toujours une supériorité. Au milieu de cette étrange mer intérieure, le Mozambique avouait lui-même n’être qu’un marin novice.

Trevaniow alors prit l’initiative et suggéra le plan à suivre. Selon, la croyance générale, la terre se trouvait de l’autre côté de la lagune. Quant à en faire le tour par le sommet des arbres, c’était hors de question, quand même les arbres eussent été continus et entrelacés l’un avec l’autre tout le long du chemin. Des singes seuls pouvaient accomplir un tel voyage, et cela eût demandé des journées, des semaines, peut-être des mois. Et comment se nourrir pendant ce temps ?

Mais s’ils ne pouvaient pas voyager sur le sommet des arbres ; qu’est-ce qui les empêchait de nager le long du bord de la forêt submergée, sous l’ombre de ses branchages, dont ils se serviraient pour se reposer et pour y dormir la nuit ?