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tron, s’écria Mundrucu, nous nous sommes égarés, nous voici revenus où nous étions il y a une demi-heure ; c’est que le Grand-Esprit le veut ainsi. Cependant nous ne pouvons rester là, il nous faut absolument aborder aux arbres.

— Cela me paraît facile, » reprit Trevaniow.

Le Mundrucu secoua la tête d’un air de doute.

Trevaniow réfléchit que jusque-là ils avaient nagé dans un cercle. Si cela arrivait de nouveau, et c’était probable, le but désiré pouvait, en effet, n’être pas facile à atteindre.

L’Indien se soulevait à chaque instant sur l’eau, comme un épagneul à la recherche d’un canard sauvage. Au désappointement qu’exprimaient ses traits, ses compagnons ne présageaient rien de bon. Ils lui virent charger le guariba mort sur ses épaules, ce qui indiquait que le Tapuyo pressentant un long voyage, se pourvoyait de nourriture. Il avait engagé ses compagnons à le suivre ; ceux-ci obéissaient, bien que le chef se fût trompé dans ses calculs : mais que faire ?

Au moins, ils étaient à l’abri du danger de couler au fond de l’eau. Les ceintures natatoires les préservaient de toute crainte à cet égard. Ils n’avaient pas non plus à redouter les souffrances de la soif, ayant amplement de boisson devant eux. Quant à la faim, ils étaient, pour quelques heures, sûrs de n’en pas souffrir, le « jacana » leur ayant fourni un déjeuner copieux, ainsi que les noix du Brésil. Mais après ?


CHAPITRE XI
Le soleil se montre. — Guidés par une ombre. — Autour du bord. — Le massaranduba. Une vache végétale. — Un souper de lait.


Il ne s’agissait plus de traverser la lagune, mais d’en sortir. Toucher terre n’importe où, était tout ce que nos aventuriers désiraient maintenant, mais la chose n’était pas facile à accomplir.

Les mouvements excentriques de leur guide au-dessus de l’eau et son air soucieux leur faisaient craindre de ne jamais revoir même la forêt submergée. Ils pouvaient continuer à nager en cercle, comme dans le tourbillon de Charybde, jusqu’à ce que l’épuisement, la fatigue les forçassent à l’inaction ; alors c’était la mort, non par l’eau, mais par la famine ; ou bien, affaiblis, incapables de se défendre, ils se verraient attaqués et vaincus, dévorés peut-être par les animaux errants qui vivent dans la lagune, ou par les oiseaux de proie. Déjà il leur semblait que les cris du curacura étaient triomphants, comme si le cruel oiseau avait deviné, pour eux, une fin tragique.

Ils supposaient qu’il devait être près de midi. Le ciel s’était chargé, depuis le matin, d’une couche de nuages d’un gris de plomb cachant le soleil ; c’est ce qui avait causé leur embarras, car le luminaire doré aurait pu leur servir de guide. Tout à coup, le temps s’éclaircit, et le front du Mundrucu aussi.

« Si le soleil continue à se montrer, tout ira bien, patron, répondit-il aux interrogations de Trevaniow. Maintenant cela ne sert à rien, mais, dans une heure d’ici, il fera de l’ombre : alors nous nagerons aussi droit qu’un « gravatana. » Ne craignez plus, patron, nous sortirons de cet embarras avant la nuit.

Ces paroles consolantes furent les bienvenues, comme on le devine.

« Mais je pense, continua-t-il, que nous pourrions aussi bien nous arrêter pour un moment jusqu’à ce que nous sachions de quel côté va le soleil. Si nous continuions maintenant, nous pourrions ne faire qu’avancer dans la mauvaise direction. »