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m’informer du nom et des affaires de tous les blancs que je rencontre en territoire indien.

— Oh ! vous excuserez mon ignorance des usages militaires, monsieur l’officier. Je ne demande pas mieux que de vous dire mon nom et mes affaires. Je suis le révérend Smithfield, bachelier en théologie de Chayenne, et je me rends de ce pas au camp des Sioux, pour voir s’il me sera possible de faire parmi eux quelques conversions.

— Vraiment ! s’écria Frank. Moi aussi, mon révérend, je suis en route pour le camp des Sioux ! Nous irons ensemble ! »

Cette fois, le clergyman déposa son bréviaire auprès de lui, et, un instant, il considéra le jeune officier en silence.

« Parlez-vous sérieusement ? dit-il enfin. Comprenez-vous bien que je me rends auprès d’un chef qui a juré une haine implacable au gouvernement américain, et que, si vous m’accompagnez, vous serez immédiatement entouré de milliers de guerriers altérés de votre sang.

— Je le sais, mon révérend ; mais ce qu’un prêtre peut faire, pourquoi un soldat ne l’essayerait-il pas ?

— Vous négligez un point fort important de la question, monsieur, c’est que les plus sauvages des Peaux-Rouges respectent mon habit. Ils savent que je ne viens chercher chez eux ni terres ni fourrures, et que, si je leur demande un abri ou des aliments, je les leur payerai. C’est pourquoi je puis sans danger me rendre au milieu des Sioux, tandis que vous ne le pouvez qu’au péril de votre vie, et il y a cent à parier contre un que vous l’y laisserez !

— Votre argument ne manque pas de justesse, mon révérend ; mais je n’en suis pas moins résolu, soit à vous suivre au camp des Sioux, soit à vous ramener prisonnier au fort Lookout !

— L’un serait aussi peu généreux que l’autre, répondit le prétendu M. Smithfield. Si je vous entends bien, vous me demandez de vous introduire avec moi parmi les Indiens ?…

— Précisément, mon révérend, et vous avez on ne peut mieux saisi ma pensée ?

— Mais songez donc que je suis, par état, autant que par goût, obligé de rester neutre ! Quoi, monsieur, vous me demandez, à moi, un messager de paix, d’introduire dans le camp de l’Ours-qui-se-tient-debout, le grand chef des Sioux, un homme que je ne connais pas, qui peut n’être en somme qu’un espion, et qui a sans doute pour projet de préparer l’extermination de la tribu ?… »

Frank Armstrong sentit vivement ce qu’il y avait de profondément fondé dans cet appel à ses sentiments de justice, et baissa la tête.

« Qui vous dit, répondit-il enfin, que mon projet ne soit pas, au contraire, de porter des paroles de conciliation au chef des Sioux ?… Tenez, mon révérend, il faut que je vous explique ce qui pourrait autrement vous paraître une simple fantaisie. On assure que le chef est un blanc… entendons-nous, un sang mêlé, moitié Indien, moitié Américain, que des maladresses dont il a été victime ont pu, sans forfaiture, jeter du côté des Indiens… Eh bien ! à divers indices, à ce qu’on raconte de lui, de son génie, de sa bravoure, de ses connaissances militaires, de sa hauteur de vues, je crois avoir reconnu un ami à moi, — le compagnon le plus cher de ma jeunesse, — et je voudrais l’arracher à la folie qu’il est en train de faire, le détourner de donner suite à cette prise d’armes qui ne peut que mal finir pour les siens… en tout cas, pénétrer d’abord au camp des Sioux, et puis advienne que pourra !… Si vous me refusez, mon révérend, vous ne me laisserez d’autre alternative que de vous prier de m’accompagner au fort Lookout ! »

Le soi-disant clergyman haussa les épaules.

« Non, monsieur, dit-il, je ne vous accompagnerai pas au fort Lookout. J’aime mieux consentir à ce que vous désirez de moi. Mais rappelez-vous au moins que c’est à vos risques et périls ! D’autre part, il est tout à fait impossible d’amener vos Indiens avec nous… C’est seulement comme mon domestique que je puis vous présenter d’une façon plausible, et il va sans dire que mon escorte ne doit pas avoir d’autres armes que les deux fusils indispensables pour pourvoir à notre provision de gibier.

— Non, répondit Armstrong, tel je suis, tel j’irai ! C’est le lieutenant du 12e dragons qui vient voir le chef des Sioux, et non le domestique d’un clergyman ! Quant à mes Indiens, si vous les croyez de trop, je suis prêt à les renvoyer ; rien de plus aisé. »

C’est presque avec admiration que M. Smithfield considéra Frank Armstrong des pieds à la tête.