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abandonnèrent le noyer du Brésil pour se diriger vers l’étendue du gapo, découverte par les explorateurs.

On se demandera de quelle manière ils procédèrent. Nager jusqu’à l’eau découverte semblait impossible, même avec des radeaux, car les troncs d’arbres épais, les ilianas tombants empêchaient de se frayer un chemin dans aucune direction. De plus, aucun signe au ciel (eût-il même été visible) n’aurait pu leur servir de guide dans l’obscurité qui régnait partout.

Ils voyagèrent comme les singes, sur le sommet des arbres, seulement leur marche fut mille fois plus laborieuse et plus lente. Enfin après bien des gymnastiques fatigantes (il fallait tour à tour sauter, grimper, descendre), ils réussirent à gagner la lisière extérieure de la forêt submergée, et arrivèrent en vue de la vaste étendue d’eau. Ce fut un soulagement pour leurs yeux las de l’obscurité sous le feuillage ombreux qui les abritait.

« Maintenant, Munday, demanda Trevaniow, la question est toujours de savoir comment vous pensez nous faire traverser cette mer.

— Mais, je vous l’ai dit, de même que pour l’igarapé.

— Impossible ! il n’y a pas moins de dix milles d’ici à l’autre côté. Les sommets des arbres là-bas sont à peine perceptibles.

— Nous avons fait presque autant de chemin en quittant le canot.

— Oui, mais nous avions la facilité de nous reposer. Si nous essayons de franchir cette grande mer, nous serons peut-être plus d’une journée dans l’eau.

— Je ne dis pas non, patron ; mais si nous n’en sortons pas d’une manière quelconque, nous pouvons rester cinq ou six mois parmi ces sommets d’arbres, sans autre nourriture que des noix et des fruits, et nous perdrons nos forces ; nous tomberons un à un dans le gapo, ou sous les dents du jacar. »

Trevaniow ne fit point d’objection devant une alternative si terrible.

Il ne fallait songer ce jour-là qu’à prendre du repos pour se préparer aux grandes fatigues du lendemain ; on s’établit donc sur l’arbre le plus moelleux que l’on pût rencontrer. Malheureusement le garde-manger ne s’était jamais trouvé si dégarni. Le dernier os des jeunes perroquets avait été rongé, il ne restait que quelques noix de sapuçaya.

Le maigre repas achevé, le Mundrucu, aidé de Richard, s’occupa de fabriquer deux autres ceintures de natation, car, pour le long voyage qu’ils avaient en perspective, l’appareil jusque-là dédaigné par eux devenait absolument nécessaire.

Pendant ce temps, Trevaniow, voulant lutter contre les sombres réflexions et distraire ses enfants, essaya de soutenir la conversation.

« Ne dirait-on pas un lac ? fit-il en montrant la vaste étendue d’eau.

— C’est une vraie lagune, ajouta le Tapuyo, seulement elle est plus pleine à cause de l’inondation.

— Comment voyez-vous cela ?

— À plus d’un signe, maître. D’abord, il n’y a pas de « campos » dans cette partie du pays, et si ce n’était pas une lagune, il en sortirait des arbres ; mais je vois un signe plus sûr là-bas, le piosoca. »

Le Mundrucu montra deux objets sombres à quelque distance, que personne, jusque-là, n’avait remarqués. Après un examen plus minutieux, on les reconnut pour des oiseaux, grands et de forme délicate, ayant quelque ressemblance avec les grues : de couleur sombre, rougeâtre sur les ailes, avec un reflet vert qui brillait aux rayons du soleil couchant. Les spectateurs remarquèrent plusieurs particularités dans leur structure, telles qu’un appendice de cuir à la base du dos, de grosses projections épineuses comme des éperons aux épaules près des ailes, des jambes longues et minces et des tarses très larges rayonnant à l’extérieur de l’os de la jambe, comme quatre étoiles étendues horizontalement sur la surface de l’eau.

Ce qui frappa les spectateurs de surprise, ce fut de voir que ces oiseaux n’étaient point posés comme s’ils nageaient ou comme s’ils étaient à flot, mais debout sur leurs jambes, les tarses et les orteils étendus sur la surface de l’eau comme sur de la glace. Et, chose plus étrange encore, pendant qu’ils les regardaient, ils les virent abandonner leur immobilité pour courir çà et là, comme sur un terrain solide.

Marchaient-ils donc sur l’eau ? On le demanda à Munday.

Non, ils avaient sous les pieds une plante aquatique, un gros lis, dont la feuille ressemblait, avec ses bords relevés, à une grande poêle à frire. La flatterie l’a désigné depuis sous le nom de « Royal Victoria ».

« C’est le « fumo piosoca, » dit Munday,