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CHAPITRE X
Les dormeurs trempés. — L’eau à découvert. — Les jacanos. — Un compagnon laissé en arrière. Le pilote en désarroi. — Tourner et retourner. — Au hasard.


Il était minuit environ, et tous nos aventuriers paraissaient aussi profondément endormis que des citadins reposant sur de moelleux édredons. On n’entendait d’autre bruit que les ronflements du nègre et de l’Irlandais. Tout à coup, ce duo nasal fut interrompu par un bruissement des branches sur lesquelles Tipperary Tom reposait. À ce bruissement succéda un cri, puis un bruit de plongeon, comme si un corps lourd tombait dans l’eau d’une hauteur considérable. Tout le monde fut immédiatement réveillé ; et tandis que le premier émoi durait encore, un second cri et un second plongeon augmentèrent l’étonnement général.

Des interrogations s’échangèrent de branche en branche sur le bertholletia, mais parmi les voix questionneuses, celles de Mozey et de l’Irlandais ne se firent point entendre.

Tous deux cependant émettaient une série de sons rauques, semblables à des gloussements, comme des gens en train d’étouffer et qui veulent appeler.

« Qu’y a-t-il ? Qu’avez-vous ? Mozey ! Tom ! disait-on de tous côtés.

— Ach ! haché ! hach ! J’étouffe !…

— Au se… secours ! gémit le nègre d’une voix à peine reconnaissable, je suis à moitié noyé ! »

La chose devenait grave ; tout le monde savait que Tipperary Tom ne pouvait nager une brasse sans aide ; aussi Richard et le Mundrucu se précipitèrent-ils à l’eau immédiatement.

Ceux qui étaient restés sur l’arbre entendirent pendant quelque temps des sons entrecoupés, des gloussements, des cris de terreur et d’encouragement. On ne voyait rien, la nuit étant très sombre, mais la lune eût-elle brillé en plein, au-dessus du noyer brésilien, ses rayons n’auraient pu pénétrer à travers les branches nattées et matelassées d’une infinité de feuilles d’ilianas.

Trevaniow et ses enfants se contentèrent donc d’écouter.

La tâche de l’Indien et de Richard n’était point facile. Ils avaient saisi Tipperary Tom chacun d’un côté, dès qu’ils avaient pu l’apercevoir ; mais le temps que prirent leurs recherches à tâtons suffit pour mettre le malheureux nègre dans un triste état. Ses talents natatoires, assez médiocres, se trouvaient paralysés par la frayeur qu’il avait éprouvée de se voir tout à coup précipité dans le fleuve, tandis qu’il était encore dans les bras de Morphée.

Un si singulier réveil pouvait bien embarrasser une cervelle si peu développée intellectuellement.

Après avoir retiré leurs camarades de l’eau, ni Richard ni le Mundrucu ne savaient qu’en faire. Leur première pensée fut de les traîner vers le tronc d’arbre sous lequel ils avaient été submergés, ils y réussirent ; mais une fois là leur position ne fut pas meilleure, ne trouvant point une seule branche à leur portée pour s’aider à monter, et l’écorce, aussi unie que du verre, étant rendue glissante par la boue qui enduisait sa surface.

Lorsque d’abord ils avaient grimpé dans l’arbre, c’était au moyen de quelques parasites, que maintenant, dans l’obscurité, ils ne retrouvaient plus.

À ce moment désespéré, une idée vint au jeune Richard.

« Jetez-nous les ceintures de natation ! » cria-t-il.

Son oncle et son cousin firent aussitôt ce qu’il demandait ; heureusement, les ceintures