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qu’aucun animal sans ailes pût sauter d’un côté à l’autre.

Les singes cependant ne semblaient pas être de cette opinion, du moins à la manière dont ils s’assirent en contemplent le saut à faire. On voyait qu’ils n’étaient retenus que par le commandement de leur chef. Il y eut un profond silence jusqu’à ce que les derniers individus de la bande se fussent accroupis sur les branches de l’arbre.

Peu après, il fut facile devoir que l’unique cause de l’embarras était « les enfants, » que les mères tenaient sur leur dos ou entre leur bras.

Le chef guariba monta alors lentement à l’arbre jusqu’à ce qu’il eût atteint le point le plus élevé, et commença un long discours. On l’écouta dans le plus profond silence. Le caquetage qui lui répondit semblait exprimer un assentiment unanime à la proposition, quelle qu’elle fût, qui venait d’être soumise à l’approbation générale.

Immédiatement, un des plus forts guaribas courut à l’extrémité de la branche qui était suspendue sur l’igarapé, et s’y arrêtant, se roidit pour prendre son élan. En un instant, le saut fut fait, et on vit le singe grimper à l’arbre sur le côté opposé de l’igarapé. Un autre l’imita, plaçant ses quatre mains dans les mêmes endroits, son corps dans une attitude semblable, il accomplit le saut exactement comme le guariba qui l’avait précédé. Puis, tous les animaux de la bande l’un après l’autre répétèrent le même exercice.

Nos aventuriers étaient singulièrement amusés en observant la précision mécanique qui existait dans les mouvements et les opérations des guaribas, accomplis juste dans le même temps et aux mêmes intervalles.

Si intéressant que fût ce spectacle, il devait être le précurseur d’un autre plus étonnant encore. Les mâles de la tribu avaient réussi à effectuer le passage en sûreté, et les femelles aussi — même celles qui portaient leurs petits, à l’exception d’une seule : une mère avec un très jeune enfant.

Le nourrisson ne pouvait pas avoir plus de neuf jours. Malgré son extrême jeunesse, il paraissait comprendre la situation aussi bien que ceux d’un âge plus mûr, s’accrochant de ses doigts enfantins à la robe poilue de sa mère, tandis que la queue de celle-ci recevait dès sa base les longs entrelacements de celle de son petit, formant des nœuds serrés comme ceux qu’on appelle nœuds de matelots. Le bébé se tenait bien ferme sur son perchoir ; mais la mère, peut-être affaiblie par la maladie, semblait douter de ses forces. Elle était la dernière de la file, et quand tous les autres eurent sauté, elle resta sur la branche, hésitant évidemment à les imiter.

À ce moment on vit un singe mâle se séparer de ceux qui déjà étaient arrivés au haut de l’arbre, et revenir le long de la branche sur laquelle ils avaient tous débarqué, puis se placer en face de la femelle indécise et commencer un long discours, ayant pour but sans doute de l’encourager.

La mère du bébé fit une réponse, qu’à ses gestes on aurait pu traduire ainsi : « Il est parfaitement inutile que j’essaye, je ne réussirai pas. » Il y avait dans le ton une telle supplication, que le père de l’enfant n’insista point ; s’élançant de nouveau au-dessus de l’eau, il prit le petit sur ses épaules, et au bout de quelques secondes tous les deux étaient de l’autre côté de l’igarapé. La mère restée seule, encouragée par cet exemple et par les cris des autres, prit son élan, mais l’effort était sans doute au-dessus de ses moyens ; elle réussit cependant à étreindre les ramilles du côté opposé, puis au moment d’enlacer la branche de sa queue, celle-ci céda et elle tomba la tête en avant dans l’eau.

Un cri unanime s’éleva du sommet de l’arbre et fut suivi de la descente générale des guaribas. Une vingtaine au moins se précipitèrent au secours. Il y eut une confusion, un émoi général ; on aurait cru que la scène se passait parmi des êtres humains ; mais l’instinct animal, plus prompt que la réflexion et la raison humaine, termina tout en quelques secondes. Bientôt la voix du guariba en chef se fit entendre sur un ton élevé. Immédiatement une dizaine de singes se glissèrent en dehors de la branche si fatale à la guariba, et s’attachèrent l’un à l’autre au moyen de leurs queues. On eût dit les anneaux d’une longue chaîne. Avec la rapidité d’un seau descendant dans un puits au moyen d’une poulie, ils relevèrent la noyée et la rendirent à son terrain habituel, le sommet des arbres. Prenant de nouveau son petit sur ses épaules, la guariba se remit dans la file des singes qui continuèrent à s’avancer en ligne directe vers un but sans doute marqué d’avance.

Le soleil se couchait lorsque les guaribas disparurent, et d’après cette circonstance on