Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/53

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Pourquoi cela, Charley ? Nous ne faisons rien d’illégal.

— Est-ce qu’on sait jamais ce que les militaires trouvent légal ou illégal ? répliqua l’homme de la plaine. Ces gens-là, voyez-vous, ne songent jamais qu’à empêcher le pauvre monde de gagner sa vie.

— Oh ! oh ! on dirait que vous avez un peu fait la contrebande dans votre temps ?

— Et quand cela serait ? Pas une fois dans ma vie, que je sache, je n’ai causé de tort ni à un blanc ni à un Peau-Rouge, et il n’y a pas beaucoup d’agents du gouvernement qui pourraient en dire autant. L’oncle Sam n’a jamais laissé un honnête homme là où il a mis une fois le pied ! »

Cependant, Mark Meagher avait de nouveau braqué sa lorgnette sur le groupe de cavaliers qui s’avançait.

« Quels que soient ces hommes, dit-il tranquillement à Charley, après un instant, je crois qu’il vaudra beaucoup mieux laisser votre fusil de côté. D’abord, ils sont bien armés, je vous en préviens, beaucoup mieux que vous… D’autre part, si les Indiens qui accompagnent l’officier sont des Sioux, il ne nous convient pas de nous les aliéner, puisque nous prétendons pénétrer dans leur camp. Vous savez quelles sont nos conditions ?

— Je n’oublie pas que nous nous sommes mis à votre service, monsieur Meagher, répliqua respectueusement l’homme de la plaine. Mais véritablement, quand on est trois contre quatre, et bien abrités dans un fourré, pardessus le marché, n’est-il pas un peu humiliant de refuser le combat ?

— Si mon intention avait été de l’accepter, mon brave, je ne vous aurais pas fait laisser vos revolvers au fort, comme j’y ai laissé les miens. Je vous ai prévenu qu’il s’agissait de mener cette affaire à bien à force d’aplomb, et vous verrez si je n’y arrive pas… Ainsi donc, posez vos fusils à terre, couvrez-les d’une couverture, et remettez les bêtes à leur piquet, comme si de rien n’était… »

Charley obéit, mais il était clair que ce n’était pas sans chagrin. Quant à beau Bill, qui n’avait, pas prononcé un seul mot au cours de cette discussion, il se contenta d’imiter son chef de file, et bientôt toutes choses furent revenues au même point qu’avant l’alerte.

Le correspondant ne cessait pas d’observer à la lorgnette les cavaliers, qui se rapprochaient à vue d’œil. Quand il les vit à un mille environ du bivouac, il revêtit sa redingote noire et revint prendre place auprès du feu.

Cependant Frank Armstrong et ses éclaireurs avançaient toujours, et, comme leurs chevaux avaient pressé le pas en flairant les senteurs pénétrantes des herbages qui s’étendaient, maintenant devant eux, ils arrivèrent bientôt en vue du campement. Les Indiens avaient reconnu depuis longtemps qu’il n’y avait là que trois blancs paisiblement assis autour du feu ; aussi jugèrent-ils toute précaution inutile et poussèrent-ils droit dans le fourré.

Le jeune sous-lieutenant fut extraordinairement surpris d’apercevoir, au lieu de celui auquel peut-être il avait pensé, un pasteur en longue redingote et cravate blanche, absorbé dans la lecture d’un bréviaire qu’il tenait à la main.

« Bonjour, monsieur ! » dit-il avec politesse, tandis que les trois Indiens considéraient l’ecclésiastique avec respect.

Celui-ci releva brusquement la tête, comme s’il eût été très surpris de s’entendre adresser la parole, et interrompant sa lecture :

« Tiens ! lit-il, des voyageurs en ce lieu ! Messieurs, soyez les bienvenus…

— Mon révérend, reprit Frank, voulez-vous, nous permettre de partager votre bivouac ?

— La face de la terre est à tous les enfants des hommes, répondit évasivement le clergyman.

— Eh bien ! puisque vous nous y autorisez, nous allons mettre pied à terre, » répondit le jeune homme en faisant comme il le disait et commençant aussitôt de desseller son cheval.

« Mon révérend, reprit-il avec courtoisie au bout d’un instant, voulez-vous me dire à qui j’ai l’honneur de parler ? Moi, je suis le sous-lieutenant Armstrong du 12e dragons, à votre service. »

Le pasteur s’était, déjà replongé dans sa lecture. De nouveau il releva la tôle avec le même regard d’étonnement en disant :

« Pardon, monsieur l’officier, vous m’avez adressé la parole ?

— Oui, fit Armstrong en fronçant légèrement le sourcil. Je vous ai prié de vouloir bien me dire votre nom. Je suis officier de l’armée fédérale, mon révérend, et c’est non seulement mon droit, mais mon devoir de