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tinuèrent à avancer lentement, sans être arrêtés par aucun accident digne d’être rapporté. L’igarapé s’étendait en ligne droite, n’offrant qu’ici et là de légères déviations, mais allant toujours vers le nord. Ils n’avaient découvert la direction de l’igarapé que la nuit précédente, non pas toutefois en observant l’étoile polaire, qui n’est visible à aucun moment de l’équateur, ni même à plusieurs degrés plus au nord. Cette étoile bien connue ne peut guère être vue des latitudes basses de la zone torride, car elle est généralement obscurcie parle voile nébuleux qui s’étend à l’horizon.

Sirius et d’autres constellations du nord les avaient guidés. Comme le soleil avait brillé tout ce jour et le précédent, on pourrait supposer qu’ils ne trouvèrent point de difficulté à découvrir le quartier du compas, à n’importe quelle heure, à un point ou deux près. Ceci pourrait être vrai pour qui voyagerait dans une latitude élevée, nord ou sud, ou à certaines saisons de l’année, n’importe où en deçà des tropiques. Même entre les deux tropiques, cela pourrait être, pour peu que l’observateur, connaissant le temps exact de l’année, y apportât une scrupuleuse attention.

Trevaniow savait qu’on approchait de l’équinoxe du printemps, alors que le soleil traverse la ligne équinoxiale, près de laquelle ils se trouvaient. Pour cette raison, à l’heure du méridien, le soleil était droit au-dessus de leurs têtes, et personne, pas même le plus habile astronome, n’aurait pu distinguer le nord d’avec le sud, l’est de l’ouest. Supposons que l’igarapé ne s’étendît point dans la même direction, mais déviât légèrement. Dans ce cas, au milieu du jour, le ciel ne pouvait leur servir de guide, et ils n’avaient qu’à suspendre leur voyage, jusqu’à ce que le soleil, s’abaissant vers l’ouest, leur permit de reconnaître les points du compas.

Heureusement, ils n’eurent pas besoin d’attendre. Comme il a été dit déjà, le flux de l’inondation était le pilote qui guidait leur marche, et, comme celui-ci courait avec une légère obliquité dans la même direction que l’igarapé, ce dernier ne pouvait s’être départi de la ligne sur laquelle ils s’étaient avancés.

Le courant avait été comparé avec les points du compas, le matin précédant le départ. Il était un peu au nord-est. C’était donc vers le nord que devaient tendre les nageurs.

Ils avaient encore tiré d’autres conclusions de la direction du courant : c’est qu’ils s’étaient éloignés du Solimoës et s’approchaient des embouchures de la grande rivière Japura.

Le vieux Tapuyo parut peu satisfait lorsqu’il eut acquis cette conviction ; il savait que, dans cette direction, le vaste delta, formé par les innombrables branches du Japura, devenant plus large, s’étendait bien loin des rives de cette remarquable rivière : la terre sèche devait donc être à une très grande distance.

Il n’y avait d’autre alternative que de continuer d’avancer, et, en déviant aussi peu que possible du chemin, ils pouvaient atteindre à temps les limites de la forêt submergée. Mus par cette espérance, ils reprirent leur marche.

Mais tout à coup ils furent arrêtés par un obstacle auquel ils ne s’attendaient point : la fin de l’igarapé ! Le curieux canal finissait tout à coup en impasse sur les arbres serrés des deux cotés, et présentait une impénétrable barrière pour qui aurait voulu aller plus loin. Le chemin était obstrué dans toutes les directions.

D’abord on espéra que l’eau pouvait reparaître encore au delà ; mais Munday revint en déclarant sa conviction que l’igarapé s’arrêtait là. Il n’était interrompu par aucune convergence graduelle des deux lignes de bois qui se rencontraient, fermées qu’elles étaient par un arbre d’une grandeur colossale. Ce géant s’élevait au-dessus de tous ses voisins et s’étendait au loin ; debout, menaçant comme un gardien de la forêt, il semblait dire : « Tu n’iras pas plus loin ! »

Le soleil commençait à décliner à l’horizon. Laissant les inquiétudes et les réflexions au lendemain, nos aventuriers ne s’occupèrent plus que de se choisir un gîte pour la nuit. L’arbre colossal, qui avait mis obstacle à leur marche, leur offrait ce qu’ils cherchaient. Sans plus hésiter, ils acceptèrent son hospitalité.

Cet arbre, sur lequel ils avaient établi leur perchoir, appartenait à une espèce qu’ils avaient déjà observée plusieurs fois dans la journée, le bertholettia excelsa (vrai noyer du Brésil), cousin du sapuçaya. De même que le sapuçaya, c’est un habitant des pays bas et des terrains inondés ; il croît à des hauteurs prodigieuses. Son grand tronc est trouvé souvent submergé de quarante pieds sous les