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un bâton assez léger pour flotter seul. L’idée fut donc abandonnée, puisqu’elle se montrait sans espoir.

Une proposition reçut l’approbation de tous. Elle vint de l’Indien, dont l’expérience au sujet du gapo avait déjà été si utile à ses compagnons.

L’arcade d’eau continuait heureusement dans la direction qu’ils devaient prendre. Pourquoi ne pas faire usage encore des ceintures natatoires ? Elles avaient déjà rendu de si importants services ! Tous les avis étant d’accord, nos aventuriers descendirent du siphonia, et, dans le même ordre que la veille, se mirent en route.

Les nageurs n’avaient pas besoin de pilote pour leur marquer leur route ; là, nul danger de s’égarer. Le détroit qu’ils suivaient était un de ceux appelés igarapé, ce qui, dans le langage de l’Amazone, signifie « passage du canot : » (igarapé est le nom du radeau le plus en usage dans la navigation du gapo).

Le détroit lui-même aurait pu être comparé à un canal courant à travers un bosquet, lequel formait des deux côtés deux haies colossales, réunies ensemble par un impénétrable réseau de plantes tropicales. Contrairement à un canal ordinaire cependant, celui-ci n’était point d’une largeur uniforme, mais ouvrant, ici et là, des étendues d’eau semblables à de petits lacs, et se rétrécissant encore, jusqu’à ce que les sommets des arbres, s’étendant de chaque côté, se touchassent de façon à former une arcade ombreuse et fraîche.

Ce fut dans ce singulier chemin que nos aventuriers s’avancèrent, guidés par la ligne de verdure. Leurs progrès étaient naturellement lents, les deux hommes qui nageaient bien étant obligés d’aider les autres ; mais tous furent secourus par une circonstance heureuse : le courant du gapo qui allait dans la même direction qu’eux. Il faut le dire, cette circonstance avait influencé le choix qu’ils avaient fait de leur route ; mais ce qui leur fut plus favorable encore, c’est que le flux des eaux correspondait presque avec la direction longitudinale de l’igarapé : ainsi en avançant le long de ce dernier, ils auraient pu croire qu’ils descendaient le bras de quelque fleuve coulant doucement.

Cependant le courant était des plus lents — à peine perceptible, et bien qu’il les soutînt, il ne faisait pas faire beaucoup de chemin. Ils n’avançaient guère plus d’un mille à l’heure.

D’un côté ou de l’autre, ils ne pouvaient pas être à plus de cinquante milles de la vraie terre ferme, et peut-être beaucoup moins loin. En allant dans la bonne direction, ils devaient donc raisonnablement espérer d’y arriver, bien que retenus si longtemps en chemin. Il était de la plus haute importance que cette direction fut soigneusement gardée. Une route de traversé aurait pu les mener à un millier de milles à travers une forêt submergée — vers l’ouest, presque à la base des Andes — à l’est, à l’embouchure de l’Amazone.

Le Tapuyo, sachant cela, mettait beaucoup de prudence à choisir la route que l’on poursuivait maintenant, et cela se comprend, puisque la moindre erreur risquait de prolonger leur pénible voyage, non seulement pendant des heures, des jours et des semaines, mais pendant des mois.

Il ne se tint pas exactement dans la ligne indiquée par le flux de l’inondation. Bien que l’échente continuât toujours, il savait que son courant ne serait pas à angles droits de cette rivière, mais plutôt obliques, et en nageant il avait soin de conserver cette obliquité.

L’igarapé courait heureusement dans la direction qu’il désirait prendre. Plusieurs heures se passèrent pour les voyageurs à s’avancer sur leur chemin liquide. De temps en temps, on prenait du repos en se retenant aux ilianas et aux branches pendantes au-dessus de l’eau.

Vers midi cependant, une plus longue halte fut proposée par le guide, et chacun y consentit avec plaisir — d’abord pour se reposer, ensuite pour prendre de la nourriture. Le Tapuyo portait encore sur ses épaules plusieurs papegeais froids.

Un gros arbre touffu, d’une belle circonférence, offrait aux voyageurs un perchoir commode ; y ayant grimpé, ils s’y installèrent en attendant la distribution du dîner, commise aux soins de Munday.

Les voyageurs comptaient avoir fait, jusqu’au moment de ce second repos, environ six milles, pendant les six heures à peu près qu’ils supposaient avoir nagé. Ils se félicitèrent de n’avoir aucune mauvaise rencontre à déplorer : le souvenir du jacarara et du caïman étant encore présent à leurs pensées. L’Indien, du reste, n’avait pas cesse d’être sur le qui-vive.

Dès que nos aventuriers se sentirent suffisamment reposés, ils reprirent leur voyage aquatique. Pendant plusieurs heures, ils con-