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Mais il n’y avait qu’à se résigner. Une conversation intéressante au sujet des alligators leur aida à passer le temps.

La plupart des questions étaient faites par Trevaniow, et les réponses données par le Mundrucu, dont la mémoire, par suite de son âge et de son expérience, recelait une véritable encyclopédie sur les caïmans et les différentes espèces de lézards.

L’Indien assura connaître cinq ou six espèces de jacara. Il savait des parties de la contrée où l’on pouvait rencontrer dans les mêmes eaux deux ou trois sortes de ces reptiles. D’abord le jacara-nassû, ou grand caïman — celui qui les assiégeait appartenait à cette dernière espèce, qui se rencontre souvent dans la même eau que le jacara-cétinga, ou petit alligator.

Sa qualification de « petit » n’était point peut-être très bien appropriée, puisqu’il a déjà quatre pieds de long quand il atteint à sa taille faite. Il connaissait aussi le jacara-curua, qui n’a jamais plus de deux pieds. Ces derniers, moins connus, ne fréquentent généralement que les petites criques. Au temps où l’echenté commence, les jacaras abandonnent les liras des rivières, et aussi les lacs, et errent partout sur le gapo.

Dans les contrées de la partie basse du Solimoës, où quelques-uns des lacs antérieurs deviennent secs, durant la saison de vasanté, plusieurs jacaras s’enfouissent dans la boue et y sommeillent. Ils restent là, enfermés dans la terre sèche et solide, jusqu’à ce que les flots amollissent de nouveau cette croûte rassemblée autour d’eux, dont ils sortent alors plus laids que jamais.

Ils fond leurs nids sur la terre sèche, et couvrent leurs œufs avec de grandes piles de feuilles pourries et mélangées de boue.

Les œufs du jacara nassû sont aussi gros que des noix de coco et d’une forme ovale. Ils ont une coque épaisse et dure, qui fait beaucoup de bruit quand elle est frottée contre une substance résistante. Quand la femelle se trouve éloignée, on n’a qu’à frotter deux des œufs l’un contre l’autre, elle vient en rampant aussitôt.

Les jacaras se nourrissent principalement de poisson, mais c’est parce qu’il y en a beaucoup, et qu’ils s’en saisissent facilement. Ils mangent aussi bien la viande ou la volaille, presque tout ce qui se trouve à leur portée. Jetez-leur un os et ils l’avaleront d’un seul trait. Si un morceau n’entre pas facilement dans leur bouche, ils le jetteront en l’air, de manière à le rattraper plus commodément entre leurs mâchoires.

Ils ont parfois de terribles combats avec les jaguars ; mais ces animaux redoutent d’attaquer les gros jacaras, et ne font généralement leurs proies que des tout jeunes et des jacara-cétingas.

Enfin les jacaras font la guerre à tout ce qu’ils rencontrent. Ils affectionnent beaucoup les tortues et en dévorent un grand nombre. Les mâles mangent même leurs enfants, quand la mère n’est pas près d’eux pour les protéger. Cependant leur préférence spéciale est pour les chiens. S’ils en entendent aboyer, ils vont bien loin dans la forêt pour essayer de s’en saisir. Quelquefois aussi ils avalent des pierres.

Les capisaras sont des animaux qui fournissent aussi beaucoup de repas aux jacaras. Bien qu’ils puissent courir très vite, ils ne peuvent cependant lutter avec les caïmans, qui vont contre le courant le plus rapide. S’ils pouvaient seulement se tourner promptement, ils seraient plus dangereux ; mais leurs cous sont roides, et il leur faut un certain temps pour qu’ils se retournent, ce qui est à l’avantage de leurs ennemis.

Les caïmans ont l’habitude de se reposer au soleil, le long des bancs de sable, sur le bord des rivières ; ils sont ainsi étendus, quelquefois plusieurs ensemble, leurs queues appuyées l’une contre l’autre, leurs bouches ouvertes toutes grandes. Tandis qu’ils sont ainsi, ou au repos sur l’eau, des oiseaux viennent quelquefois se percher sur leur dos et sur leur tête, grues, ibis et autres espèces. Mais les jacaras les plus à craindre sont les mangeurs d’hommes ; ils guettent près des maisons et des villages le baigneur imprudent.

Cependant la patience-du Mundrucu était à bout. Il était décidé, si le reptile n’effectuait pas bientôt son départ, à se rendre maître de la place d’une façon quelconque. Bien que le jacara ne dut point être facilement envoyé dans l’autre monde, il y avait des endroits où sa vie était attaquable : la gorge, les yeux et les places creuses placées derrière les ouïes. C’est par là que l’Indien résolut d’avoir raison de son ennemi. Ah ! s’il eût eu vingt ans de moins, il n’eût certes pas agi avec tant de prudence !

Lorsqu’une autre heure se fut écoulée sans