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En apercevant que sa proie lui avait échappé pour la seconde fois, sa furie ne sembla plus connaître de bornes. Il frappait l’eau avec sa queue, et donnait cours à une série de sons comparables au beuglement d’un taureau ou à l’aboiement d’un dogue.

On pouvait parfaitement voir maintenant le reptile. Il était en plein jour, éclairé par le soleil. Son corps de huit yards de longueur, et proportionné en épaisseur, ne mesurait pas moins, pris par le milieu, de neuf pieds, tandis que les protubérances en forme de losanges qui s’élevaient au-dessus de son dos en pyramides pointues allaient jusqu’à la hauteur de sept pouces.

Il n’est pas étonnant que cette vue arrachât un cri de terreur à la petite Rosita, et fît éprouver un vif sentiment de crainte à tout le monde.

Il s’écoula quelque temps avant que ceux qui le regardaient fussent rassurés sur la crainte de le voir monter à l’arbre ; cela paraissait être dans ses intentions, car il frottait son mufle dentelé contre l’écorce, et essayait d’embrasser le tronc de ses bras courts, semblables à des bras humains.

Le Mundrucu informa ses compagnons que ceci était un exploit au-dessus de son pouvoir et qu’ils pouvaient se croire en sûreté. Le jacara ne parut pas être de cet avis tout d’abord, car après avoir tenté de vains efforts pour ramper en haut, il commença à nager en cercles irréguliers autour de l’arbre, sans cesser de tenir ses yeux braqués sur les spectateurs.

Après quelque temps, ces derniers cessèrent de suivre les mouvements du monstre pour ne le regarder que de moment en moment. Il n’y avait pas de danger immédiat dans sa désagréable présence, et des pensées d’une bien plus grande importance devaient les occuper.

Ils ne pouvaient rester toute leur vie dans le sapuçaya ; et bien qu’ils fussent fort incertains sur l’avenir qui les attendait dans la forêt au delà, tous étaient anxieux de s’y rendre. Allaient-ils trouver une forêt submergée ou une terre sèche ? Le Mundrucu était de cette dernière opinion.

En tout cas, il fallait atteindre la forêt ; à tout événement, le changement ne pouvait guère amener une situation pire.

Munday leur avait promis des moyens de transport, mais de quelle espèce ? Aucun d’eux ne le savait encore. Le temps était arrivé cependant pour lui de manifester ses intentions, et c’est ce qu’il fit, non par des paroles, mais par des actions.

On se rappellera qu’après avoir massacré les papegeais, il avait écorché le seringa et tiré une provision de sève soigneusement enfermée ensuite dans les pots de singe. Il avait apporté tout cela avec lui, ainsi que les « sipos », sortes de cordages fournis par la nature.

Dans sa fuite il avait mis ces objets en sûreté en suspendant les pots de singe à son cou au moyen des sipos.

Le Mundrucu se fit apporter une grande quantité de noix prises au sapuçaya. Ralph et Richard lui servant d’aides, il en retira le fruit, remit les couvercles et les rendit imperméables par un enduit de caoutchouc.

Son but, cependant, n’était point encore compris de ses camarades, excepté du jeune Trevaniow, qu’il avait mis au courant de ses projets. Leur incertitude à tous ne dura pas longtemps, quand ils le virent réunir les coques vides ensemble, au moyen des sipos, par bottes de trois ou quatre, les lier ensuite avec un ligament plus fort arraché au même parasite, et attacher enfin les bottes deux par deux, en laissant environ trois pieds de distance entre un paquet et l’autre.

« Des ceintures de natation ! » cria Ralph alors.

Il ne se trompait pas. C’était juste ce que Munday avait voulu faire.