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qu’ils étaient souvent de porter presque tout le poids de leur corps sur les deux bras seulement, en se perchant d’arbre en arbre. Ils eurent à faire plus d’un détour, causé par l’impénétrable réseau de parasites et par les espaces d’eau, sortes d’étangs qui se trouvaient sur leur route. La distance à parcourir n’était pourtant que de deux cents yards à peine. Leur voyage dura près de deux heures, mais toutes leurs fatigues furent oubliées quand ils se trouvèrent sur le bord de la forêt submergée, avec l’eau libre s’étendant devant eux.

Une vue bien faite pour les réjouir les attendait : sur le sapuçaya qu’éclairait le soleil, ils reconnurent les amis dont ils étaient séparés depuis le matin.

Richard semblait les compter du regard, comme pour s’assurer qu’aucun d’eux ne manquait. Peut-être une seule et gracieuse forme attirait-elle ses yeux dans la distance : celle de sa petite amie Rosita.

Il allait crier pour avertir de leur approche, quand un signe du Mundrucu l’arrêta.

« Pourquoi pas, Munday ?

— Pas un mot, jeune maître. Nous ne sommes pas encore hors du bois. Le jacara pourrait nous entendre.

— Nous l’avons laissé bien loin, près de l’igarapé,

— Ah ! c’est vrai. Mais qui sait où il peut être maintenant ? Qui sait s’il ne nous guette pas toujours ? »

Tout en parlant, l’Indien regarda derrière lui, le jeune homme aussi.

Il ne paraissait pas exister un seul sujet d’inquiétude. Tout était silencieux sous l’ombre des arbres. Pas une seule ride ne s’apercevait sur la surface des flots.

« Je crois que nous lui avons bien donné le change. Qu’en pensez-vous, vieux compagnon ?

— Cela semble ainsi, répondit l’Indien. Le Mundrucu n’entend rien, pas un son. Le jacara est sans doute encore à l’igarapé.

— Pourquoi nous attarder ici plus longtemps ? Plusieurs heures déjà se sont écoulées depuis que nous avons quitté le sapuçaya. Mon oncle et les autres doivent avoir perdu patience et être tourmentés d’une grande inquiétude. Bien que nous les apercevions parfaitement, je ne pense pas qu’ils nous voient, sans cela ils nous auraient hélés. »

Le Mundrucu, après avoir regardé encore une fois derrière lui pendant une vingtaine de secondes, répondit enfin : « Je pense que nous pouvons nous aventurer. » Le jeune Trevaniow n’attendait que ce signal, et s’abaissant sur la branche qui le supportait lui et son compagnon, tous deux se confièrent aux flots presque immédiatement.

À peine avaient-ils touché l’eau, que leurs oreilles furent assaillies par une acclamation qui ébranla le gapo. C’était un cri de joie poussé sur le sapuçaya par leurs compagnons qui les avaient aperçus. Stimulés par ces félicitations de leurs amis, tous les deux frappèrent des coups vigoureux pour les rejoindre plus tôt.

Richard ne pensait plus à regarder derrière lui. Il avait aperçu de quoi l’encourager, et toute son attention était désormais absorbée par cette vue : une jeune fille se tenait debout dans la fourche de l’arbre et agitant ses bras vers lui en signe de joie.

Le Mundrucu était tout différemment occupé. Au lieu de regarder en avant, ses oreilles et ses yeux semblaient absolument tendus en arrière.

Les nageurs avaient traversé à peu près la moitié de l’espace d’eau qui s’étendait entre l’arbre solitaire et la forêt submergée, l’Indien restant dans le sillon tracé par le jeune Paranèse, afin que sa vue ne put être empêchée de ce côté.

Bientôt aucun jacara ne se montrant, la confiance revint au Mundrucu. Selon toute probabilité, l’alligator montait la garde près de l’igarapé, dans l’ignorance de leurs mouvements. Il se mit donc à nager de front avec le jeune homme, et tous les deux ne voyant plus de motifs pour se hâter autant, ils ralentirent leurs efforts.

Mais d’autres yeux — heureusement — regardaient pour eux la vaste étendue d’eau, et au moment où nos nageurs s’y attendaient le moins, une exclamation de frayeur partie du sapuçaya vint les avertir du danger. Il ne s’en fallait que de quelques secondes qu’ils ne fussent rejoints par l’horrible reptile qui les poursuivait.

Ils atteignirent l’arbre par des efforts désespérés et, aidés des mains secourables qui leur étaient tendues, ils purent bientôt contempler leur ennemi du haut du sapuçaya.

L’énorme saurien nagea vers l’arbre — vers l’endroit même où le Mundrucu et Richard avaient grimpé.