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La vue de ce dernier amène un sentiment de crainte, mais le brillant de sa peau et sa configuration peuvent pourtant trouver grâce devant l’œil, tandis que, chez le saurien, son rapprochement de la forme humaine, triple l’expression répulsive. Tout répugne chez le crocodile, l’aspect et le caractère.

Pendant quelque temps, nos deux voyageurs n’eurent aucune appréhension, certains qu’ils étaient d’être hors de la portée du reptile ; tant qu’ils voudraient rester sur leur perchoir, il n’y avait, en effet, aucun danger pour eux.

Le grand chagrin de nos aventuriers, c’était de ne pouvoir rejoindre leurs compagnons, qui devaient attendre avec impatience leur retour. Ils songèrent d’abord à se faire entendre d’eux en criant, mais ils y renoncèrent ensuite comme à une entreprise inutile. Leur seul espoir reposait dans une retraite de l’alligator vers son repaire habituel.

Le Mundrucu cependant était loin d’être sans inquiétude. Il y avait quelque chose dans la conduite de l’amphibie qui lui déplaisait beaucoup.

« Pensez-vous qu’il veuille nous attendre ? demanda son jeune compagnon.

— Je le crains, jeune maître. Il peut nous tenir là pendant des heures — peut-être jusqu’à ce que le soleil disparaisse.

— C’est fort peu désirable. Que vont-ils penser là-bas ? et que faire ?

— Rien à présent. De la patience, maître.

— Mais c’est atroce d’être assiégé de cette façon, s’écria le jeune créole. Être séparés de quelques yards seulement de ses compagnons, et ne pouvoir les rejoindre !

— Ah ! je voudrais que le Curupüra l’eût en sa possession. Je crois que la brute va nous tenir bloqués, car elle nous a vus !

— Comment, vous croyez qu’elle a assez de ruse pour cela ?

— Ah ! en doutez-vous, maître ? Ces reptiles attendent quelquefois les victimes qu’ils désirent pendant des semaines entières. Je suis sur maintenant que ses mâchoires ont jeté leur dévolu sur nous.

Une heure se passa ainsi, et presque une seconde encore. La situation devenait insupportable.

« Mais que pouvons-nous faire ? murmura le jeune homme à l’Indien, qui partageait toute son impatience.

— Nous allons essayer de nous glisser par le sommet des arbres, et d’arriver à l’autre côté. Si nous pouvons nous mettre hors de la portée de sa vue, nous sommes sauvés. Le Mundrucu est furieux contre lui de n’avoir pas songé à cela plus tôt. Il aurait dû savoir que le jacara ne se fatigue pas de guetter. — Regardez ce que je fais, et agissez exactement comme moi.

— Tout va bien, Mundrucu ! murmura Richard, je m’efforcerai de suivre votre exemple. »

L’idée de nos voyageurs paraîtra absurde, incroyable, mais dix minutes passées dans une forêt Je l’Amérique du Sud rendraient moins improbable l’idée d’un voyage sur les sommets des arbres. En bien des endroits cette entreprise est presque facile. Dans le grand Montana de l’Amazone, il y a des parties de forêts d’une vaste étendue où les arbres sont si entremêlés qu’ils forment une espèce de « tonnelle ». Chaque arbre est immédiatement rejoint à ses voisins par un réseau, un lacis serré de câbles naturels formés par des parasites — auprès duquel l’enchevêtrement de cordes qui compose le gréement d’un vaisseau est un ouvrage fait à jour.

Au milieu de cette luxuriante végétation vivent des oiseaux, des bêtes et des insectes qui n’ont jamais habité la surface de la terre. Il n’était donc point impossible à l’Indien et à son compagnon de circuler sur les branchages de celte forêt submergée. Il y avait moins de danger même que dans les étendues de bois situées sur les hautes terres, ou « campos ». Un faux pas ne pouvait entraîner qu’un plongeon et une temporaire interruption du voyage.

Le Mundrucu commença donc ses opérations sans crainte. Il exprima encore son regret de n’avoir pas « levé le siège » plus tôt. Il ne s’ensuivait pas que leurs progrès dussent être bien rapides. Cela dépendait de la nature des arbres et de leurs parasites. Mais, heureusement pour eux, la végétation en cet endroit avait été prodigue de ses trésors.

L’Indien, en regardant à travers les branches, pensa qu’il n’y aurait pas grande difficulté à se glisser de l’autre côté de l’arbre qui les séparait de l’eau. Dans celte persuasion, il se mit en chemin suivi de son compagnon, et tous deux s’avancèrent dans le plus absolu silence.

Ils n’ignoraient pas qu’il était parfaitement possible et même très aisé à l’alligator de les accompagner dans leur marche, qui était, il faut le dire, extrêmement fatigante, obligés