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entre lui et son compagnon, il se confia de nouveau aux flots,

Le jeune créole le suivit de près ; en dix minutes, ils eurent traversé l’eau, et ils virent devant eux le brillant soleil éclairant le gapo à son embouchure, juste comme s’il sortait de la bouche d’une caverne souterraine !


CHAPITRE VI
Chassés par un jacara. — Un saurien. — Un étrange voyage. — Un avertissement opportun. Des ceintures de natation improvisées.


Richard se félicitait déjà de se trouver de nouveau à la claire lumière du soleil, quand tout à coup son compagnon tressaillit, éleva sa tête au-dessus de l’eau, tourna son visage et regarda en arrière en poussant une exclamation d’alarme.

Richard se souleva à son tour au-dessus des flots, et ses yeux suivirent la direction qu’avaient prise ceux de son compagnon.

« Un monstre ! s’écria le Mundrucu.

— Un monstre ? de quelle sorte ? Où ?

— Plus loin, juste près du bord de l’igarapé, contre les arbres, son corps est à moitié caché sous les branches. »

Le jeune homme regarda du côté indiqué.

« Je vois quelque chose comme le tronc d’un arbre mort à flot. C’est un monstre, dites-vous, Munday ?

— Le corps d’un gros reptile, assez gros pour nous avaler tous deux. C’est le jacara-nassû. J’ai entendu son plongeon, ne l’avez-vous pas entendu aussi ?

— Non.

— Voyez ! le voilà qui vient de notre côté. »

Le corps sombre que Richard avait pris pour un arbre flottant s’avancait, en effet, vers eux ; les vagues, ondulant horizontalement derrière le reptile, résonnaient des coups de sa longue queue verticalement aplatie, au moyen de laquelle il faisait son chemin dans l’eau.

« Le jacara-nassû ! » répéta le Mundrucu en expliquant qu’il ne s’agissait de rien moins que du grand caïman de l’Amazone. C’en était un, en effet, et de la plus grande dimension ; son corps mesurait bien sept yards[1] au-dessus de la surface de l’eau ; ses mâchoires, qui s’ouvraient de temps en temps, soit pour menacer, soit pour respirer, semblaient de taille à engloutir l’un ou l’autre des nageurs d’un seul coup.

Il était inutile pour eux d’essayer d’échapper, dans l’eau, à leur ennemi ; ils ne pouvaient songer à lutter de vitesse avec un caïman d’une telle taille.

« Il faut nous réfugier vers les arbres ! cria l’Indien dès qu’il fut convaincu que l’alligator était à leur poursuite.

Le Mundrucu mit ses conseils en action, et quelques brassées énergiques l’amenèrent sous les arbres. Son jeune compagnon, ayant à son service autant d’activité que de bonne volonté, fut bientôt près de lui.

« Que le Grand Esprit nous protège ! dit l’Indien en regardant du haut de l’arbre. — Je vois aux regards du monstre que c’est un mangeur d’hommes.

Le reptile qu’ils avaient devant eux était d’une taille remarquable ; ses yeux avaient une expression de convoitise et de férocité tout à fait surnaturelle.

Il serait difficile d’imaginer une créature plus hideuse que celle qui guettait nos deux nageurs. Il n’y a pas de forme, dans la nature, plus déplaisante, à l’œil, que celle du lézard, en y comprenant celle du serpent.

  1. Un yard, mesure de trois pieds.