Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/512

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sa tête cependant remuait, son long cou s’allongeait hors de l’iliana, apparemment tout prêt à saisir l’oiseau qui s’approchait de lui. Ralph ne fut pas aussi effrayé. Un serpent n’était point une apparition extraordinaire pour lui, et celui dont il s’agissait n’était pas d’une dimension à le faire redouter. Sa première pensée fut d’éloigner les oiseaux et de les mettre hors de la portée du reptile ; car les imprudents, loin de fuir leur dangereux ennemi, semblaient prêts à s’élancer sur ses flancs. Le monstre dressait son cou et ouvrait ses mâchoires.

Le petit perroquet poussa la folie jusqu’à s’approcher presque à la portée de la langue du serpent, et à se percher sur l’iliana autour duquel le reptile était enroulé. Ralph montait plus haut dans l’arbre avec l’intention de prendre l’oiseau dans sa main et de l’éloigner du danger, quand il fut soudain arrêté par un cri parti d’en bas. C’était Mozey le Mozambique qui l’avait poussé.

« Sur votre vie, Ralph, ne faites pas cela ! Maître Ralph ! criait le nègre, n’allez pas près d’eux. Vous ne savez pas ce que c’est que ce serpent-là ! Le Jararaca !

— Le jararaca ? répéta le jeune homme machinalement.

— Oui ! oui ! le plus venimeux de toute la vallée de l’Amazone. Redescendez, maître ? descendez ! »

Les autres personnes avaient été attirées par le dialogue du nègre avec Ralph. Trevaniow, suivi de Tipperary Tom, commença l’ascension-de l’arbre ; Rosita resta seule dans la fourche où son père l’avait placée.

Ce dernier, en apercevant le serpent, vit que Mozay n’avait rien exagéré en le dépeignant comme le plus dangereux de toute la vallée, et plus à redouter que le jaguar même.

L’aspect du reptile était bien fait d’ailleurs pour inspirer toutes les craintes ; sa tête plate et triangulaire reliée à son corps par un long cou mince, ses yeux brillants et sa langue rouge, qui sortait de ses mâchoires, lui donnaient quelque chose de hideux et de répulsif ; il semblait créé exprès pour donner la mort. Sa taille, d’ailleurs, n’était point formidable, ayant à peine six pieds de longueur.

Personne ne savait que faire, on n’avait d’armes d’aucune sorte, elles étaient depuis longtemps au fond du gapo. Ralph, averti du danger, était descendu.

Pendant tout ce temps, le serpent n’avait remué que la tête et le cou, tenant le reste de son corps immobile. On commença à s’apercevoir qu’il remuait ; les plis brillants se détendaient et lâchaient prise sur l’iliana.

« Dieu bon ! le monstre descend de l’arbre ! » s’écria Trevaniow.

À peine ces mots lui étaient-ils échappés, que l’on vit le serpent ramper sur l’iliana, et, bientôt après, se diriger vers une branche qui appartenait à la souche même. Il l’eut bientôt atteinte, et ensuite passant sur un rameau parallèle, il continua sa descente.

Tous ceux qui avaient pris refuge sur le tronc abandonnèrent leur périlleuse position, et firent retraite vers les branches horizontales.

« Ô ciel ! mon enfant est perdue ! » s’écria Trevaniow.

La jeune fille s’était levée, déjà avertie du danger par les cris de ses amis, effrayés pour elle. Sa situation paraissait on ne peut plus périlleuse. Le reptile continuait sa marche sur le rameau faisant partie du tronc même auquel elle s’appuyait ; il ne pouvait descendre plus bas sans passer sur elle. Bientôt il ne fut plus qu’à dix pieds au-dessus de sa tête.

Trevaniow descendait avec l’intention de tout faire pour protéger son enfant, lorsque la voix de Mozey l’arrêta :

« Inutile, maître, lui cria-t-il, il est trop tard, vous n’arriveriez pas à temps. Vite ! sautez à la mer, petite Rosita ! Le vieux Mozey est là pour vous repêcher. » Et, afin d’encourager l’enfant à obéir sans délai, Mozey, s’élançant de sa branche plongea avec bruit.

Rosita avait du courage. Elle agit sans perdre un moment selon l’avis qui venait de lui être donné et fut reçue dans les bras du nègre.

La noble conduite de Mozey lui valut l’admiration de tous ses camarades, car il exposait sa vie doublement, étant très mauvais nageur.

Par cette même raison, les craintes pour l’enfant devenaient plus sérieuses. Sauvée du serpent, échapperait-elle aux flots ? Et puis était-elle bien à l’abri du reptile ? Le jararaca étant une espèce essentiellement amphibie, se trouvait tout aussi bien chez lui dans l’eau qu’à terre : il pouvait les poursuivre.

Et là, il aurait eu double avantage ; car, tandis qu’il nageait comme un poisson, Mozey était tout juste capable de se tenir à flot, embarrassé qu’il était par sa protégée.