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On se hâta d’obéir aux ordres du patron. Les cordes furent saisies par des mains encore tremblantes, et nouées autour du sapuçaya.

Tout à coup un cri s’échappa simultanément des lèvres de tous ceux qui composaient l’équipage, et, avant que son écho se fut éteint, le bateau était séparé en deux parties.

La cause de cet événement était dans la quille du galatea, qui s’était brisée au milieu dans l’affaissement de la vague qui l’avait enlevée.

Pendant quelques secondes, les deux parties de l’embarcation restèrent entre l’air et l’eau, l’avant, avec son équipement, balançant l’arrière et son toldo.

Grâce au dévouement de ceux qui savaient nager, tout l’équipage put se mettre à l’abri des vagues, et chercher un refuge sur l’arbre ; là, de leur position élevée, ils contemplèrent l’embarcation qui les avait si longtemps abrités. Les deux débris disparurent bientôt à leurs yeux.

Il serait difficile d’imaginer une situation plus critique que celle de l’équipage. Un coup de vent pouvait leur ravir leur abri. Les branches craquaient et gémissaient sous eux, se penchant comme si elles allaient se briser sous leurs pieds, tandis que leurs mains s’y accrochaient convulsivement. Les larges péricarpes, remplis de leurs fruits lourds, se détachaient de temps en temps, et s’en allaient siffler dans l’air, menaçant les têtes de ceux qui se trouvaient au-dessous.

C’est ce qui arriva à Mozey le Mozambique, et ce fut heureux, car aucun autre crâne que le sien n’eût pu résister au choc. Mais la balle rebondit sur la couronne laineuse du nègre, ne lui faisant d’autre mal qu’une grande frayeur suivie d’une forte exclamation.

Jusqu’alors, nous l’avons dit, chacun n’avait songé qu’à se maintenir dans la position hasardeuse que le sort lui avait assignée, mais cette disposition des esprits vint tout à coup à changer.

Nous avons déjà fait observer que ces orages ou ouragans des tropiques s’élèvent ou s’abaissent avec une soudaineté également remarquable.

Peu de temps après le choc reçu par la crinière laineuse de Mozey, l’orage se calma. On était arrivé au milieu du jour, et le soleil brillait dans un ciel d’un bleu sans mélange, au-dessus d’une étendue que la tourmente avait cessé de troubler. Ce changement ne laissa pas d’exercer une heureuse influence sur l’esprit de nos aventuriers. Ne craignant plus le danger immédiat, leurs pensées se tournèrent naturellement vers l’avenir, et ils commencèrent à chercher une place pour se délivrer des positions gênantes que le hasard leur avait données.

On ne voyait que de l’eau partout, excepté d’un seul côté, où quelques arbres s’élevaient, formant un hallier serré. Sans aucun doute, c’était une forêt submergée, ressemblant beaucoup à celle où ils s’étaient installés la veille de l’orage.

Leurs yeux se tournèrent naturellement vers ce point-là, dès que les eaux se furent calmées. Y arriver n’était pas chose facile. Bien que les bords de cette verdoyante péninsule — car elle en avait l’apparence — fussent à peine à un quart de mille de distance du sapuçaya, deux des hommes seulement pouvaient l’atteindre à la nage : le Mundrucu et Richard Trevaniow.

En face de tant de difficultés, on ne savait comment résoudre la question, et plus d’une heure se passa dans ces débats.

Si les matériaux pour construire un radeau eussent été à leur portée, l’embarras eût été bientôt tranché. Les branches du sapuçaya, quand bien même on aurait pu les casser, eussent été trop lourdes, dans leur état de sève, pour flotter. Il fallait donc y renoncer.

Mais on pensa que, parmi les sommets des arbres qu’on aurait voulu atteindre, on pouvait trouver de meilleurs matériaux. Pour cela, il fallait d’abord une reconnaissance de la forêt, et deux hommes seulement en étaient capables : le Mundrucu et Richard Trevaniow.

Tous les deux se jetèrent à l’eau sans hésiter.

Les naufragés suivirent leurs compagnons des yeux jusqu’à ce qu’ils eussent disparu dans l’ombre de la forêt submergée.

Leurs réflexions étaient pénibles. L’abri où ils se trouvaient ne pouvait être que temporaire, et en supposant qu’ils atteignissent les autres arbres, ce ne serait encore que pour se trouver avec quarante pieds d’eau au-dessous d’eux !

Ils restèrent pendant près d’une heure sans échanger une parole. Le seul son que l’on entendît dans les branches du sapuçaya, était de temps à autre un cri échappé aux oiseaux ou