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tantôt le sommet des arbres, tantôt les nuages couleur de soufre.

Bien que le soleil n’eut point été visible de toute la journée, c’était l’heure de son coucher ; et comme si l’ouragan n’eût attendu que ce moment pour éclater, il se déclara immédiatement.

Au bruit de l’ouragan se mêlaient des cris étranges et inconnus. Les voix des oiseaux, des animaux et des reptiles se mariaient aux gémissements du vent, au roulement du tonnerre, au fracas des branches qui se brisaient.

La frayeur se lisait sur tous les visages, à bord du galatea. On craignait que l’embarcation ne fût détachée de ses amarres, et emportée en pleine eau. Au premier déchaînement des vents, des vagues énormes s’étaient soulevées.

Les appréhensions de l’équipage ne tardè-renl pas à se réaliser.

Malheureusement l’arbre auquel le radeau avait été amarré était d’une nature peu résistante, une espèce de melastoma. Les branches trop fragiles pour soutenir le fardeau qui leur avait été inopinément imposé, commencèrent à céder l’une après l’autre ; ce fut si rapidement qu’avant que de nouvelles amarres eussent pu être mises, la dernière corde était partie. La barque, comme un lévrier qu’on délivre de sa chaîne, quitta son abri et se lança sur les vagues du gapo.

L’équipage vit que la seule chance de salut était dans le maintien de l’équilibre du canot. Il fallait aussi qu’il courût devant le vent.

Mais ceci, même n’était pas sans difficulté. Le vent ne soufflait pas dans une direction régulière, mais par accès, et comme il arrivait de tous les points du compas, tandis que les vagues s’élevaient, hautes comme des maisons, le bateau roulait, enfonçait, tantôt de l’avant, tantôt de l’arrière, au milieu d’une mer écumeuse.

Le jour arriva enfin : une aurore rouge, suivie d’un brillant soleil, qui aurait pu égayer nos voyageurs ; mais la tempête soufflait avec la même furie que pendant la nuit.

Ils se retrouvèrent encore sur une grande nappe d’eau. Était-ce un lac considérable ou une île ? Celle sur laquelle ils avaient déjà échoué ? Non ; c’était une autre étendue du gapo.

Tout à coup l’Indien sembla vouloir parler : le singe le contrefaisait par gestes. « Qu’est-ce qu’il y a ? Que voulez-vous, Munday ? » lui demanda-t-on d’en bas.

Ils reçurent une réponse laconique :

« Terre !

— Terre ! répétèrent comme un écho une dizaine de voix joyeuses.

— Ce n’est peut-être pas un rivage, ce n’est peut-être que les sommets d’une épaisse foret comme celle où nous avons essayé de pénétrer hier. Quoi que ce soit, patron, cela rase la ligne du ciel, et nous y allons droit : le vent nous y pousse.

— Que Dieu soit béni ! s’écria Trevaniow. Tout vaut mieux que notre position présente. Si nous pouvons nous retrouver encore au milieu des arbres, nous ne serons pas noyés, du moins. Remercions Dieu, enfants ! »

Le gouvernail avait été démonté dans la nuit, et on ne pouvait se fier qu’à la tempête — qui soufflait toujours — pour les emporter vers la place de refuge signalée par le Mundrucu. Ils virent avec joie que le vent les poussait de ce côté.

L’équipage se félicitait de voir l’embarcation filer vers le point de refuge espéré, lorsqu’un arbre gigantesque se présenta aux regards de l’équipage. Il se trouvait solitaire, à un quart de mille à peu près du bord de la rivière submergée, et ainsi beaucoup plus près du bateau, qui continuait à se débattre dans la tempête.

Malgré l’inondation, son tronc dépassait au moins de dix pieds le niveau de l’eau ; mais, à moitié chemin, entre l’eau et les branches, le colossal tronc se séparait en deux rameaux ; chacun d’eux paraissait une souche entière, tant ils étaient énormes. Bien que la fourche fût hors de l’eau, elle était mouillée à chaque soulèvement du gapo.

Le galatea allait vers cet arbre aussi droit que s’il lui eût été indiqué par le doigt même du destin. La première vague qui arriva souleva le bateau sur sa crête bouillonnante, et le logea, dans l’arbre géant, d’une telle façon, que sa quille resta prise dans la fourche formée par les deux troncs séparés.

« Que Dieu soit béni ! s’écria son propriétaire, nous sommes sauvés maintenant. Grâce à Dieu, nous avons enfin trouvé un mouillage. »

Trevaniow paraissait avoir raison de penser ainsi. Les gigantesques troncs du sapucaya, s’élevant des deux côtés entre les bouts des bancs du galatea, ressemblaient aux supports d’un dock à basse marée.