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montrés, les choses n’en eussent pas été mieux.

Le timonier ne put dire si, en déviant du canal, il avait dévié au sud ou au nord, à l’est ou à l’ouest. Et vraiment quelqu’un de moins obtus que Tipperary Tom eût pu être incertain sur ce point.

Un hallier fut signalé en vue, mais il ne fut visible qu’un instant, car le brouillard augmentait. Selon toute probabilité, ce n’était qu’une réunion de sommets d’arbres ; mais quoi que ce fût, il devint bientôt évident que l’embarcation s’éloignait doucement.

En découvrant cette particularité, le Mundrucu reprit toute son animation. Il était resté quelques minutes la figure baissée, par-dessus le passavant, pendant que son bras nerveux plongeait dans l’eau. Après être resté dans cette position, il se releva et retira son bras d’un air peu satisfait.

Ce fut alors qu’il aperçut le sommet des arbres, sur lesquels il tint ses regards fixés jusqu’à ce qu’il se fût assuré que le galatea s’en éloignait.

« Hoola ! s’écria-t-il en essayant d’imiter le cri qui s’était plus d’une fois échappé des lèvres de Tipperary Tom. Hoola ! La rivière est là ! »

Et en parlant il indiqua la pointe des arbres.

« Vous pensez que la rivière est dans cette direction ? reprit Trevaniow en s’adressant au Mundrucu.

— Le Mundrucu en est sûr, patron, sûr, comme il voit le ciel là-haut.

— Rappelez-vous, vieillard, qu’il ne s’agit pas de se tromper. Sans aucun doute, nous avons déjà dévié considérablement du canal du Solimoës. — En sortir serait risquer nos vies.

— Le Mundrucu le sait, fut la réponse laconique.

— Alors, avant de nous aventurer, il faut nous assurer du fait. Quelles preuves pouvez-vous donner que la rivière soit là ?

— Patron, vous savez le mois dans lequel nous sommes. Mars ?

— Oui, mars, certainement.

— L’échente.

— Que voulez-vous dire ?

— Le fleuve devient plus large, les eaux montent, le gapo va encore s’agrandir ; — c’est l’échente.

— Mais comment cela vous permet-il de déterminer la direction de la rivière ?

— C’est ainsi, dit l’Indien. Pas avant trois mois, en juin, viendra le vasante !

— Qu’est-ce que cela ?

— Le vasante, patron ? c’est la baisse. Alors le gapo diminuera, et le courant ira vers la rivière, tandis que maintenant il en vient.

— Votre théorie me paraît assez rationnelle. Je crois que nous pouvons nous y fier.

— S’il en est ainsi, ajouta Trevaniow, nous ferons bien de diriger notre course vers le sommet des arbres là-bas, et de ne pas perdre de temps.

« Tous à vos pagaies ! Réparons le temps perdu par la négligence de Tipperary Tom. Poussez, nos garçons ! en avant ! »

À cet énergique commandement, les quatre rameurs se précipitèrent à leurs places, et la grande barque, enlevée par leurs efforts réunis, glissa vivement sur les eaux enflées.

En quelques secondes, la tête du galatea se trouva à la distance d’un demi-câble des branches des arbres submergés.

L’équipage vit que s’avancer plus loin en ligne directe serait absolument impossible. Ils jugèrent qu’ils n’auraient pas plus de succès, s’ils essayaient de laisser le radeau en l’air et de sauter ainsi par-dessus un obstacle, qui se trouvait sur leur chemin.

Non seulement les branches étaient enchevêtrées les unes dans les autres, mais sur elles s’entrelaçait une luxuriante végétation de plantes grimpantes, formant un réseau si fort et si compact, qu’un steamer d’une force de cent chevaux aurait pu reposer en sûreté sur ses mailles.

Une heure s’écoula à pagayer, puis une autre, et on ne trouvait toujours pas de passage.

La rivière pouvait être dans la direction indiquée par l’Indien, mais comment y arriver ?

Pas une ouverture ne se montrait dans cet immense espace, qui pût offrir un passage au canot.

Le jour déjà si sombre s’assombrit encore. La nuit descendait sur le gapo.

L’équipage, fatigué par tant d’heures d’efforts inutiles, cessa de pagayer. Le patron ne s’opposa point à ce repos. Il commençait aussi à se décourager.

Malgré les précautions prises pour la sûreté du canot, le Mundrucu ne semblait pas tranquille. Il avait serré le mât à sa vergue, et s’y étant perché, il resta à contempler,