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radeau dans le canal de la rivière, et c’est à cela qu’il donnait toute son attention.

Il arriva cependant à un endroit où il y avait deux bras.

Lequel des deux était le bon ? Lequel fallait-il prendre ? Telles étaient les questions que se posait Tipperary Tom.

D’abord, il eut la pensée d’éveiller son maître et de le consulter ; mais, après avoir encore regardé les deux bras de la rivière, il se convainquit que le plus large était celui qu’il devait choisir.

Le petit radeau inclina, bien entendu, vers le bras qui paraissait le plus large, et, en dix minutes, il avait fait tant de chemin, que, de son pont, l’on ne pouvait plus apercevoir l’autre passage.

Le pilote, persuadé qu’il suivait la bonne route, ne s’inquiéta pas davantage ; et, reprenant la direction du gouvernail, conduisit le galatea dans le milieu du détroit.

Malgré toute absence d’appréhension au sujet de la route prise, il ne put s’empêcher de remarquer que les rives de chaque côté devenaient étrangement irrégulières, comme si elles étaient par-ci par-là échancrées par de profondes haies ou étendues d’eau. Quelques-unes d’entre elles offraient des échappées de vue de surface brillante, qu’on eût dit illimitées, tandis que les sombres espaces, qui les séparaient, ressemblaient plutôt à des bouquets d’arbres demi-submergés sous l’eau qu’à des étendues de terrain solide.

À mesure que le galatea continuait sa course, cet étonnant phénomène cessait d’être une conjecture ; et Tipperary Tom reconnut qu’il ne naviguait plus sur une rivière bordée de deux rives, mais sur une grande étendue d’eau, n’ayant d’autre limite que celle qui lui était donnée par une forêt submergée.

Il n’y avait rien dans tout ceci qui dût alarmer, du moins à ce que pensait Tipperary Tom.

Il se supposait simplement dans quelque partie du Solimoès, débordée par delà ses rives, comme il l’avait déjà vu quelquefois.

Ce fut seulement lorsque l’étendue d’eau, sur laquelle glissait le radeau, parut devenir moins large, ou plutôt, après qu’elle se fût rétrécie à un surprenant degré, que « Tipperary » commença à craindre d’avoir pris la mauvaise route. Ses soupçons dégénérèrent en conviction, quand le galatea arriva au point où il ne s’en fallait que de la longueur d’un câble que les bouts des rames ne touchassent les arbrisseaux qui bordaient les deux rives. Il s’était véritablement éloigné du principal canal. Le radeau qui les emportait nageait loin du puissant Solimoès.

Le timonier s’alarma, et, par cette raison, négligea de prendre le seul parti que lui indiquaient les circonstances. Il aurait dû réveiller ses compagnons de voyage, et les informer de l’erreur dans laquelle il était tombé.

Il ne le fit pas. Un sentiment de honte pour avoir négligé son devoir — ou plutôt pour l’avoir accompli maladroitement — l’empêcha d’avouer la vérité.

Il ne connaissait rien de la grande rivière sur laquelle ils voyageaient.

Il pouvait exister un détroit, comme celui dans lequel passait le radeau. Peut-être le détroit s’élargissait-il plus loin ; peut-être, après tout, avait-il navigué dans la bonne direction. Telles étaient ses pensées.

Ces conjectures, fortifiées d’espérance, firent qu’il n’interrompit pas la course du radeau.

Le détroit s’élargit, et le radeau glissa encore sur une grande étendue d’eau. Le pilote était rassuré.

Ce nouvel état de choses ne dura que peu de temps. Les eaux libres s’encombrèrent de nouveau. Tandis que de chaque côté s’étendaient des bras de mer, bordés par des arbrisseaux à demi submergés, quelques arbres apparaissaient à l’horizon plus gros et plus menaçants, sur le chemin de l’embarcation.

Tipperary Tom ne pensa plus à continuer une route qu’il jugeait décidément mauvaise. Portant toute sa force sur la barre du gouvernail, il essaya de faire virer le galatea, en le forçant à revenir sur le chemin déjà parcouru ; mais, soit à cause du courant ou de la lumière décevante de la lune, il ne put reconnaître son chemin ; et, abandonnant la barre avec désespoir, il laissa le radeau aller où la vague l’emporterait.

Avant qu’il eût rassemblé son courage pour avertir ses compagnons de ce qui se passait, le galatea avait dérivé sur les sommets des arbres de la forêt submergée, où il se trouva instantanément amarré.

Un craquement d’arbrisseaux brisés réveilla l’équipage, et l’ex-mineur, suivi de ses enfants, sortit en hâte du toldo.

Trevaniow ne fut pas seulement alarmé, mais terrifié de cet événement. Mozey était également troublé.