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que leur retraite pût être découverte pendant la nuit ; ils étaient même si confiants dans leur prétendue sécurité, qu’ils n’avaient point délibéré sur leur système de défense en cas d’attaque. Archilète, cependant, n’était point sans appréhensions ; il avait bouclé sa jambe artificielle, sa cheville ayant été fatiguée par une trop longue station sur l’étrier, et il regardait de temps en temps à l’entrée de la vallée.

Le capitaine allait lui demander la raison de son inquiétude, lorsque tout à coup le Mexicain se jeta à terre et mit son oreille sur le gazon pour écouter. Puis, il se releva vivement, frappa le sol avec violence avec sa jambe de bois, et s’écria :

« Alerte, camarades ; ils sont sur nos traces. Le chien, le maudit chien nous a livrés ! »

En même temps, le vent qui s’élevait apporta jusqu’au fond du vallon l’aboi d’un chien.

« C’est Wolf ! Wolf qui nous a vendus ! » s’écria Marian.

Juste à ce moment, le traître involontaire déboucha de la ravine, et, ne cherchant plus de piste, puisqu’il sentait et voyait sa maîtresse, il courut en bondissant vers elle et lui prodigua cent caresses.

Les fugitifs coururent prendre leurs armes, et se cachèrent derrière les rochers. Si les Mormons suivaient le chien, ils devaient être déjà assez près pour intercepter toute retraite par le cañon. La seule espérance, c’est que le chien fût venu de lui-même et sans être accompagné ; mais cette espérance fut bientôt détruite, car au lieu de rester auprès de Marian, Wolf se mit à faire des allées et venues d’un bout à l’autre du vallon, en quête, paraissait-il, de ses compagnons de route.

Bientôt, d’ailleurs, des voix humaines résonnèrent dans la ravine ; un cavalier parut, puis un autre et encore un autre, jusqu’à ce que huit hommes armés fussent visibles sur le terrain découvert du vallon.

Le premier en tête était Holt ; le second, Stebbins ; les autres n’étaient que les anges destructeurs, les séides du chef mormon. Holt seul continua de s’avancer rapidement, tandis que Stebbins resta un peu en arrière, tenu en respect sans doute par les rifles des fugitifs, qui brillaient au-dessus des remparts de rochers.

Sans souci pour sa vie, à laquelle d’ailleurs nul des assiégés n’aurait attenté, Holt s’approchait au petit trot, tenant son long fusil qu’il serrait de ses deux mains. Sa figure exprimait une résolution énergique, celle de reprendre son enfant volée par des sauvages. Cette croyance était bien la sienne, car en voyant des figures d’hommes blancs apparaître au-dessus des rochers, il laissa tomber son arme sur le pommeau de sa selle et parut stupéfait.

Avant qu’il n’eût eu le temps d’exprimer ce qu’il ressentait, Lilian se dressa derrière le roc et s’écria :

« Ô père ! ce ne sont pas des Indiens ! c’est Marian, c’est… »

Au même instant, Marian parut à ses côtés.

« Marian vivante ! cria Holt ; Marian vivante ! Dieu soit loué ! Il y a un poids de moins sur ma conscience… Et maintenant, réglons nos comptes. »

En disant ces derniers mots, il sauta à terre, prit vivement son rifle, alla en placer le canon contre la poitrine de Stebbins, qui était resté à cheval, et lui dit d’une voix terrible :

« John Stebbins, expliquons-nous un peu, s’il vous plaît.

— Que voulez-vous dire, vieil ami ? demanda Stebbins en essayant de lui échapper, mais en vain, car le squatter avait saisi la bride de son cheval.

— Je veux dire que vous m’avez rendu le plus misérable des hommes ; je veux dire que vous m’avez amené à faire tout ce qui me répugnait le plus, à vous abandonner Marian, à vous suivre avec ma dernière fille, parce que vous m’avez tenu sous le coup d’une dénonciation. Ma pauvre femme a été dévorée vivante par un cougar dans la forêt du Mud-Creek, et vous m’avez menacé de m’accuser de sa mort. Vous aviez su arranger un système de preuves, et vous me faisiez peur de la justice. Vous avez cru, en me voyant si obéissant, que c’était de la corde et de cette mort honteuse que j’avais peur ? Point du tout, John Stebbins ; c’était du mépris, de la haine que mes pauvres filles auraient eus pour un père criminel. Eh bien ! nous voilà devant elles ; vous avez des témoins de votre côté ; je vous adjure de dire la vérité et de déclarer, devant Dieu qui nous entend, que mes mains sont pures de tout crime. »

Le chef mormon fit un signe d’appel à ses hommes :