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ce billet sans exciter de soupçons, ce serait Archilète, dit Marian, et justement il est dans le corral ; il a usé tout de suite du bénéfice de son rôle de guide. Que faire en l’attendant ?

— Le soleil est tout à fait tombé, dit Édouard Warfield, les feux du corral illuminent seuls l’obscurité ; venez avec moi, nous nous promènerons au dehors du camp en inspectant les fenêtres des wagons. Archilète a dit aux Mormons que nous étions frère et sœur, paroles prophétiques, je l’espère. Croyant à cette parenté, les gens que nous rencontrerons ne s’étonneront pas de nous voir promener ensemble. »

Tous les deux arrivèrent bientôt près de l’avenue par laquelle on entrait dans le corral. On avait fait des feux au dehors, pour éloigner les fauves ; mais ils étaient solitaires, tandis que les autres feux, allumés dans l’ellipse du corral, éclairaient une scène qu’on n’eût pas attendue dans un tel lieu.

Les émigrants dansaient ; un cornet à piston composait à lui seul tout l’orchestre ; mais on n’a pas le droit d’être difficile, à une telle distance de tout centre civilisé. Édouard Warfield et Marian n’aperçurent pas Lilian dans ces groupes qui tourbillonnaient. Ils firent le tour du corral, inspectant chaque wagon, jusqu’à ce qu’étant arrivés à un point où ils pouvaient apercevoir toute l’ellipse dans le sens de sa longueur, par l’interstice de deux véhicules, timon contre timon, ils aperçurent Holt assis à dix pas d’eux près d’un feu du corral,

Marian fut si émue qu’elle dut s’appuyer au bras de son compagnon ; mais presque au même instant Édouard Warfield tressaillit à son tour et dit à la chasseresse :

« Le signal ! le linge blanc ! » en lui désignant le wagon le plus proche. Il était faiblement éclairé par une seule lampe ; mais la tête blonde de Lilian se montrait dans le carré de la petite fenêtre.

« Ne vous avancez pas, ne lui parlez pas, votre père est trop près, » souffla Édouard Warfield à l’oreille de Marian ; puis il grimpa sur la roue du wagon, tendit le billet à la jeune fille, en lui disant : « Dans un quart d’heure, » sauta à terre, et, prenant la main de Marian, il la reconduisit vers les tentes indiennes.

Les chevaux furent vite sellés. Archilète était revenu et fut des plus prompts à préparer tout pour la fuite. Il déclara le premier qu’il valait mieux profiter du bruit et de la confusion que le bal faisait régner dans le camp mormon que d’attendre l’heure de minuit, et, suivi d’Édouard Warfield et de Sure-Shot, il conduisit les chevaux à un endroit convenu, à distance à peu près égale des tentes indiennes et du corral.

Le capitaine accepta contre son gré cette mission subalterne ; il aurait vivement souhaité être des premiers à voir Lilian, à l’entendre parler ; mais ce droit revenait à Franck Wingrove, que son autorité comme parent de la jeune fille rendait propre à vaincre les scrupules possibles de Lilian. Sa présence était aussi nécessaire que celle de Marian ; Édouard Warfield le sentait si bien, qu’il n’osa pas protester contre cette distribution des rôles.

Franck Wingrove et la chasseresse se glissèrent comme des ombres le long des wagons, avec d’autant plus de prudence que le bal avait cessé pour un moment, soit que le musicien fût à bout de souffle, soit que les danseurs eussent le désir de se reposer un peu. Quand ils arrivèrent à l’espace libre où les deux timons relevés l’un contre l’autre permettaient au regard de plonger dans le corral, ils aperçurent Holt assis à la même place auprès du feu ; il causait à voix basse avec John Stebbins, et il était si près de Franck Wingrove et de sa fille que ceux-ci auraient pu entendre sa conversation, s’il eût parlé aussi haut que d’habitude.

« Faut-il attendre qu’ils soient partis de là ? murmura le chasseur à l’oreille de Marian ?

— Ils y pourraient rester trop longtemps, et nos amis seraient inquiets. D’ailleurs Lilly nous attend. Voyez ! la chère fille est encore à la fenêtre. Je ne puis résister au désir de l’embrasser. Faites le guet, mon cher Franck. Je serai prudente. Nous parlerons tout bas. »

Marian s’avança jusque sous la fenêtre du wagon et appela par deux fois :

« Lilly ! ma chère petite sœur !

— Est-ce vous, Marian, vous vivante ! Quoi ? ce n’est pas un rêve ?

— C’est, moi, Lilly : êtes-vous prête à me suivre ? Oh ! chère petite sœur, il le faut, croyez-moi. Je vous dirai plus tard combien je vous aime et combien je vous ai pleurée ; mais la nécessité nous presse ce soir… Pouvez-vous venir à nous ? de quel côté est l’ouverture du wagon ?