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Le capitaine n’était point sûr de pouvoir remettre à Lilian ce billet qu’il roula dans sa main droite ; mais il voulut du moins le tenter. Craignant de voir disparaître la jeune fille, il sortit du fourré comme la mulâtresse était à peine à quatre ou cinq pas d’elle, et jouant son rôle de guerrier utah, il fit signe à Lilian qu’il désirait boire.

La bonté de la jeune fille la fit sourire à l’étrange figure de l’Indien, et heureuse d’avoir un service à rendre, elle pencha sa cruche à même laquelle le capitaine but quelques gorgées.

« Venez-vous ?… dit la mulâtresse en se retournant. Tiens ! ces sauvages sont bien apprivoisés. Ce chien ne pouvait-il pas boire à la rivière ?

— Il ne faut mépriser personne, tante Lucy, répondit Lilian. Il y a des sauvages qui valent bien des hommes blancs. »

Tout à coup, en lui rendant sa cruche, le capitaine lui glissa le petit billet. La voix de Lilian trembla en prononçant les derniers mots de sa phrase ; mais elle ne se troubla pas autrement, cacha le papier dans la fente de son corsage et s’éloigna en faisant un gracieux signe de tête au faux Indien.

Évidemment, elle ne se doutait pas du contenu de ce billet ; mais son instinct de captive lui avait fait comprendre qu’une communication du dehors ne pouvait lui venir que d’un ami.

Édouard Warfield se hâta d’aller annoncer à Marian l’heureux hasard qui l’avait mis en présence de sa sœur.

« Pourquoi pas cette nuit, alors ? » Tel fut le premier mot de la chasseresse, et tout aussitôt elle adressa cent questions au capitaine sur sa chère Lilly. Il y répondit de manière à prouver que son cœur, à lui, était sous le charme mieux que jamais, et ni l’un ni l’autre ne se serait lassé de cette causerie, si Franck Wingrove ne les eût rappelés à la question pressante.

« Elle ne se décidera pas sans m’avoir vue, dit Marian. Comment pourrai-je pénétrer dans le corral ?

— C’est inutile, dit le capitaine, si elle se rend à ma prière et met un signal blanc à la fenêtre extérieure de son wagon. Il suffira de lui écrire. Il ne vous faut pas affronter de nouveau les regards de Stebbins.

— Vous avez raison, monsieur Warfield.

— Eh bien ! dit alors le chasseur, c’est entendu, j’écrirai en votre nom, comme au mien. Lilly s’est déjà confiée à moi, elle sait que je suis son parent dévoué ; vous allez me dicter d’abord ce que vous voulez lui faire dire, ma chère Marian. J’y joindrai quelques mots. Sûrement elle se tiendra à la fenêtre de son wagon, l’un de nous lui passera cette lettre, et, si elle est seule, peut-être pourrons-nous l’emmener cette nuit même.

— Eh bien, faites, » dit Marian.

Le chasseur déchira quelques feuilles du calepin d’Édouard Warfield et écrivit sous la dictée de la chasseresse :

« Sœur bien-aimée, c’est Marian, votre Marian qui vous écrit. Je suis encore vivante, et ceux qui vous ont fait pleurer ma mort ont été aussi cruels qu’ils sont menteurs et lâches. Je suis venue pour vous ici, sous un déguisement indien, accompagnée d’amis dévoués. Je suis venue pour vous sauver d’un danger que vous ne soupçonnez peut-être pas, mais qu’il faut fuir à tout prix. Mon cœur saigne à la pensée de ce que je vais ajouter, chère Lill ; mais il ne faut pas que vous révéliez ma présence à notre cher père, qui est abusé par Stebbins. Dès que vous aurez ce billet, sortez de votre wagon. Des amis seront là pour vous recevoir ; laissez seulement très lisible le billet ci-joint, que mon père lira après votre départ. Joignez-y votre nom au mien… et par grâce, si vous ne voulez pas exposer ma vie et celle des braves gens qui se sont dévoués à votre salut, venez nous retrouver.

« À bientôt, chère Lilly. Oh ! qu’il me tarde de vous embrasser.

« Marian. »

« Et maintenant, dit la chasseresse à Wingrove, mettez sur une feuille à part les mots suivants pour mon père ;

« Mon père, pardonnez à vos filles si elles ont fui la tyrannie odieuse et déshonorante du Mormon Stebbins. Si vous les aimez encore, revenez à votre ancienne clairière où vous les trouverez saines et sauves sous la garde d’amis dévoués.

« Marian. »

« Elle viendra ! elle viendra ! dit Franck Wingrove, après avoir ajouté quelques mots en son nom personnel.

— La personne la plus capable de remettre