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En effet, quand Wolf accourut à l’appel d’Archilète, Édouard Warfield s’aperçut qu’il était méconnaissable. Le Mexicain avait coupé les poils velus du chien et rasé sa queue comme celle d’un lévrier ; puis, il avait peint sur sa peau de grandes taches pareilles à celles que portent les chiens indiens.

Quelques heures menèrent la petite troupe au bout occidental de la passe. Au tournant d’un éperon de la montagne, leur vue plongea sur une vaste plaine.

« Voyez ! s’écria le Mexicain. Voyez le campement de ces Saints des derniers jours. Ils savent choisir les emplacements de leurs haltes, ces coquins-là. »

Le guide s’arrêta en parlant ainsi, chacun suivit son exemple et regarda la plaine.

C’était la vallée de San Luis ; elle ne présentait aucun des traits caractéristiques qu’on associe d’habitude au mot de vallée. Sa surface était parfaitement plane, et, au premier coup d’œil, elle ne paraissait limitée que par l’horizon ; mais un regard subtil pouvait la voir se relever à l’ouest aux premières assises de la Sierra San Juan. Plus près au nord, on apercevait les pentes boisées des Sierras Mojada et Sawatch, pendant qu’elle était gardée à droite et à gauche par les pics neigeux de Watoyah et de Pike, sentinelles géantes de cette immense vallée.

Le Rio del Norte étendait ses sinuosités claires et brillantes vers le centre de cette riche plaine, ressemblant à un serpent aux écailles étincelantes. C’était dans la presqu’île tracée par une de ces sinuosités du fleuve qu’était établi le campement des Mormons.

Sans l’assertion du trappeur, les voyageurs n’auraient point pris pour la caravane les quelques douzaines de points blancs qui paraissaient arrêtés dans cette presqu’île, car la vallée était couverte d’un voile de vapeurs flottantes, et l’éloignement était encore considérable. Le Mexicain disait que les points blancs étaient les toits des wagons. Le capitaine prit sa longue-vue et s’assura du fait affirmé par le trappeur. Les véhicules étaient rassemblés dans un certain ordre et probablement corralés.

Des formes vivantes étaient visibles à l’aide de la longue-vue. Mais les hommes et les femmes qui circulaient à travers le campement avaient des proportions lilliputiennes, et le troupeau de chevaux et de bétail ressemblait à une grande bande de chèvres.

Il était environ midi, et les voyageurs s’arrêtèrent pour bivouaquer. Quoique la distance qui les séparait du camp fût encore grande, ils n’étaient point pressés d’avancer. Ils ne voulaient y arriver qu’à la tombée de la nuit, afin d’être moins exposés à la curiosité des premiers regards, sous la pénombre du crépuscule. Les Mormons avaient rencontré bien des Indiens à travers les prairies ; ils en avaient même quelques-uns parmi eux, comme en témoignait l’envoi du messager. Il valait donc mieux ne pas aborder leur camp à la lumière du jour, afin de pouvoir l’approcher en cachette et d’étudier la topographie de la plaine environnante.

Les derniers rayons du soleil rougissaient les sommités des Montagnes d’Argent lorsque la petite troupe approcha du camp et put en reconnaître l’assiette. Il y avait une vingtaine de wagons couverts (Trov et Conestogas), puis d’autres véhicules plus petits (Dearborns et Jersey) à ressorts. Ces derniers appartenaient sans doute aux Saints de fortune aisée, tandis que les Conestogas, tirés par des bœufs, étaient destinés à transporter la menue plèbe des Mormons. Un corral, c’est-à-dire un camp retranché, avait été formé avec les plus grands wagons, selon l’usage des caravanes dans les prairies.

Le corral était formé suivant les usages classiques. Deux wagons de front, mis côte à côte, deux autres placés de façon à ce que leurs roues de devant touchassent les roues de derrière de la première paire ; les deux suivants doublant leurs timons sur ceux des seconds, et ainsi de suite pour la première moitié du train. Ce premier alignement produisait une sorte de demi-ellipse. Pour compléter le corral, on tourne tous les wagons restant en arrière en dedans de l’ellipse, ce qui rend la figure complète ; mais on laisse un espace ouvert, une sorte d’avenue pour pénétrer dans le corral. Si le train est attaqué, les wagons offrent, un rempart solide aux assiégés. Et, d’ailleurs, des sentinelles placées hors du corral et d’autres à cheval, postées un peu plus loin en éclaireurs, assurent d’ordinaire la sécurité du campement.

En approchant du camp mormon, les voyageurs aperçurent des femmes et des enfants qui allaient et venaient dans la partie retranchée du camp, un peu agités comme s’ils s’y étaient retirés à l’approche de ce petit parti d’Indiens. Quant aux hommes, ils étaient