Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/480

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XX
Le campement mormon. — John Stebbins dans son rôle de chef. — Holt et Lilian dans le camp.


Bien longtemps avant que le soleil ne se levât sur les cimes neigeuses des pics espagnols, toute la petite troupe était sur pied. Un déjeuner de viande de daim fut lestement préparé par Marian et expédié plus lestement encore. Puis ils commencèrent tous à s’équiper pour la mascarade. Peg-Leg eut la haute main dans cette occupation ; il connaissait parfaitement le costume utah — celui de chasse et celui de guerre — et il n’y avait pas à craindre qu’il se trouvât en défaut.

Quant à lui, il n’avait pas besoin de déguisement. Comme trappeur du Taos, il pouvait être, comme il l’était en réalité, l’associé des chasseurs utahs, et il se savait inconnu aux Mormons, il pouvait donc se présenter sous son costume mexicain devant ceux-ci sans qu’ils eussent le moindre soupçon de ses intentions.

Le premier qu’Archilète costuma, ce fut le capitaine. Il étendit une couche uniforme d’ocre et de vermillon sur sa figure, son cou, ses mains et ses bras, et le transforma en guerrier utah d’aspect assez terrible. Une tunique de chasse en peau de daim et des mocassins cachèrent le reste du corps d’Édouard Warfield, et le quart de la crinière d’un cheval Arapaho tué dans la vallée de l’Huerfano, et maintenue par le bonnet à plumes et la crête retombant en arrière, lui compléta un costume capable de lui valoir un grand succès dans un bal costumé de Paris ou de Londres.

La transformation de Franck Wingrove fut tout aussi aisée à opérer ; mais il y avait d’autres difficultés à vaincre pour déguiser l’ex-rifleman. Son nez retroussé, sa chevelure jaune, ses yeux d’un gris verdâtre se refusaient à figurer, si peu que ce fût, un Indien vraisemblable. Peg-Leg ne se découragea point, et prouva qu’il était un véritable artiste. La chevelure de Sure-Shot fut saturée d’une pâte de charbon de bois qui la noircit ; un cercle noir autour de chaque paupière neutralisa la teinte de l’iris de la pupille. Sa face fut couverte d’un fond d’ocre rouge, et une demi-douzaine de lignes noires, courant perpendiculairement au nez corrigèrent le dessin de celui-ci et finirent par transformer l’ex-rifleman en un aussi bon Indien que n’importe lequel de ses compagnons.

Marian procéda toute seule, dans sa tente, à son travestissement. Son costume était déjà indien ; elle n’avait qu’à en modifier la trop grande élégance qui eût attiré les regards sur elle. Sa figure seule devait être masquée, et le capitaine se demandait avec inquiétude comment elle parviendrait à modifier ses traits ; mais il n’eut plus d’appréhension sur le résultat quand il la vit sortir de sa tente, la figure rougie d’ocre, chaque joue ornée d’une quantité de points vermeils obtenus de la baie de l’allegria, et le front bariolé de lignes obtenues par un procédé semblable. Bien que ce tatouage n’enlevât pas à Marian la suavité correcte de son galbe, il la changeait tellement que Franck Wingrove lui-même jurait qu’elle était méconnaissable et la regardait malgré lui avec curiosité, comme pour bien s’assurer que c’était là sa Marian.

Quand ils furent tous déguisés, ils cachèrent soigneusement leurs habits, plièrent les tentes et s’apprêtaient à partir, quand le capitaine dit à Archilète :

« Nous avons oublié le plus important. Le chien de Marian va nous faire reconnaître.

— Lui ! Je l’en défie, répondit le Mexicain. Pendant que vous vous ajustiez, je l’ai accommodé, lui aussi. Viens çà, Wolf, et dis au capitaine qu’il peut être jaloux de ton déguisement. »