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Flèche-Rouge leva les yeux vers le soleil, puis les reporta sur l’horizon. Il sembla réfléchir et surtout chercher des mots pour exprimer son opinion ; puis il finit par balbutier des nombres contradictoires et, d’ailleurs, sans aucun sens intelligible.

« Deux, — trois, — quarante, — onze, » disait-il, en faisant pour rendre sa pensée un effort aussi inutile qu’énergique.

Frank s’aperçut qu’il avait mal posé la question.

« Pourrions-nous les rejoindre avant le coucher du soleil ? reprit-il très lentement, en appuyant sur les mots.

La physionomie du guide s’éclaira.

« Oui, quand soleil haut ainsi ! » fit-il en indiquant dans la direction du sud le point où le soleil devait arriver vers trois à quatre heures

« lieutenant, dit aussitôt Frank Armstrong au ton le plus officiel en s’adressant à son supérieur, voulez-vous m’autoriser à suivre seul avec les guides cette nouvelle trace, puisque vous ne croyez pas devoir engager le détachement dans cette expédition ? Avec l’aide de Flèche-Rouge, j’imagine que je puis aisément arriver à trouver le fin mot de cette affaire et à vous le rapporter. »

C’est, avec un soupir de satisfaction que Van Dyck répondit :

« Fort bien, monsieur. Cette proposition vous fait honneur, et je vous donne l’autorisation que vous demandez. »

Frank était au comble de la joie à la pensée qu’il allait enfin avoir ses coudées franches.

« Voilà qui est entendu ! s’écria-t-il. Je vais suivre cette trace avec Flèche-Rouge, et, avant trois jours, je vous aurai rejoint à la vieille estacade, près de l’embouchure du ruisseau de Hominy, si vous le voulez bien…

— C’est cela, dit Van Dyck. Je vous attendrai trois jours, mon cher. Mais il est bien convenu qu’après ce délai, vous ne compterez plus que sur vous-même, car je devrai rentrer au fort. Je ne puis pas compromettre la sécurité du détachement pour la satisfaction de votre fantaisie. »

Le sous-lieutenant était devenu très sérieux.

« Je ne sais trop ce que vous entendez par ce mot, monsieur, dit-il assez sèchement. Il me parait qu’il s’agit ici plutôt d’un devoir que d’une fantaisie… Si vous ne m’attendez pas, j’en serai quitte pour rentrer tout seul. Mais je vous assure que, si j’aperçois la possibilité de mettre la main sur quelque renseignement d’importance, ce n’est pas une telle considération qui m’arrêtera. »

Van Dyck avait détourné les yeux sous le regard froid et résolu de son jeune collègue.

« C’est dit, mon cher Armstrong, répondit-il assez vite. Je ne veux pas vous enfermer dans des instructions trop étroites. Mais, je vous le répète, je ne resterai pas plus de trois jours au rendez-vous, et, à l’expiration de ce délai, je reprendrai le chemin du fort. Encore m’estimerai-je heureux si je ramène mon détachement sain et sauf, après cette absurde expédition dans ce pays perdu.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de si absurde à suivre la trace de l’ennemi, répliqua Armstrong d’un ton presque dédaigneux. Mais n’importe, agissez à votre guise, Van Dyck. J’aurais peut-être pu attendre plus de complaisance de la part d’un collègue, d’un officier de ma compagnie…

— Et d’un imbécile qui a des amis communs avec vous, n’est-ce pas ? interrompit Cornélius en ricanant. Mettez ceci dans votre poche, monsieur Frank Armstrong. Je ne suis pas encore aussi niais que vous le croyez, et je commence à être fatigué de tirer les marrons du feu pour les autres… Allez, allez, ce n’est pas moi qui me creuserai la cervelle pour vous empêcher de perdre votre cuir chevelu, puisque vous en avez si grande envie !… »

Au désert, loin des conventions mondaines, les natures grossières se laissent facilement aller à déposer le masque de la politesse et à montrer leur véritable visage. C’était la première fois que Van Dyck eût fait allusion à la rivalité qui existait entre lui et Armstrong, quoique tous deux en eussent parfaitement conscience. Aussi, le sous-lieutenant, profondément blessé, répliqua-t-il à l’instant avec un sourire de dédain :

« Oh ! oh !… C’est là votre jeu !… Fort bien, monsieur. Pour mon compte, j’aime mieux perdre mon cuir chevelu, comme vous dites, que rentrer sans l’avoir exposé. Si je reviens au fort, ce sera peut-être pour être porté à l’ordre du jour.

— C’est la grâce que je vous souhaite ! » fit l’autre ironiquement.

Et ils se séparèrent : Van Dyck pour rejoindre le détachement, Frank pour partir en compagnie de l’Indien.

« Allons, Flèche-Rouge, dit-il, montrez-