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des Indiens. Cette version expliqua au capitaine l’étrange conduite des dragons de l’escorte. Le caractère des victimes des Arapahoes avait causé leur indifférence ; méprisant les Mormons, ils ne s’étaient pas inquiétés de leur sûreté et les avaient abandonnés à leur sort.

La petite troupe résolut de passer la nuit sur le terrain du camp déserté. D’après les informations qu’elle tenait du messager, les Mormons stationnaient à trente milles de là, attendant sur les rives du Rio del Norte la réponse du chef utah.

Après avoir chassé les loups, — il suffit pour cela de deux ou trois coups de fusil qui firent fuir toute la bande — les quatre compagnons s’occupèrent à planter les tentes en peau de buffle. Ils en avaient deux, empruntées à leurs amis les Utahs, et qui faisaient partie du bagage porté par les mules. Une de ces tentes devait être la retraite de Marian, l’autre était destinée à abriter les quatre hommes.

Par le beau temps qu’il faisait, la petite troupe aurait bien pu se passer de tentes ; si elle s’en était munie, c’est qu’elle pouvait être forcée de voyager plusieurs jours en compagnie des Mormons, et c’était pour elle une cachette sûre. L’épaisse couverture de peaux les déroberait aux inquisitions du regard, et les hommes auraient besoin d’y venir rajuster de temps en temps leur déguisement.

Quoique cette route-là fût assez fréquentée, ils n’avaient encore rencontré personne, et Sure-Shot, pendant l’installation du campement, plaisanta Archilète sur la circonspection avec laquelle celui-ci avait guidé la marche pendant tout le jour.

« Voyons, lui dit-il, aviez-vous peur que les Arapahoes, non satisfaits de l’héroïque frottée qu’ils ont reçue aujourd’hui, vinssent encore se faire canarder par nos rifles ?

— Eh ! eh ! tout est possible avec ces enragés-là, répondit le Mexicain. Il peut y avoir parmi ceux qui se sont sauvés assez d’hommes valides pour cerner notre petit parti, et vous pensez bien, Sure-Shot, qu’ils ne se seraient pas tenus complaisamment à distance pour vous payer leur revanche d’hier en vous servant de cible. Mais vous connaissez leurs façons.

— Leurs façons, vous êtes bien honnête, monsieur le trappeur ; leurs façons ! Dieu me pardonne, en voilà des façons ! et l’ex-rifle-man éclata de rire.

— Je vous accorde qu’ils ne sont pas bien élevés, reprit Peg-Leg ; raison de plus pour éviter de croiser en chemin des animaux aussi farouches, surtout quand nous avons besoin de garder nos membres intacts et toute notre poudre pour une meilleure occasion. Mais je ne vous ferai plus enrager, Sure-Shot, en furetant des deux côtés de notre chemin. Il m’est prouvé désormais que les Arapahoes n’ont suivi ni le cañon ni la rivière Huerfano, ils ont pris par des ravines latérales, et si nous devons les rencontrer, ce ne devra être qu’au retour, dans le cas où ils auraient pu reformer un assez grand parti pour espérer de se venger des Utahs.

— Ouf ! cette déclaration me soulage d’une inquiétude, s’écria Sure-Shot… Oh ! ce n’est pas celle de retomber au pouvoir de ces estropiés du coup d’œil. Ces choses-là n’arrivent pas deux fois de suite à un vieux rifle comme moi. Mais j’avais peur que vous ne nous permissiez pas d’allumer du feu, et les malheurs d’hier m’ont rendu sybarite. Je me soucierais peu d’être obligé de mâcher de la viande de daim crue et séchée pour mon souper.

— Allumez un bûcher, si vous voulez, mon garçon, dit le Mexicain en clopinant autour des feux pour les rallumer. Sure-Shot alla couper des branches, et le capitaine qui avait respecté le tête-à-tête de Marian et de Franck Wingrove, assis l’un à côté de l’autre devant une tente, alla rappeler en riant à la chasseresse qu’elle avait promis de présider à la confection du repas.

Elle s’en occupa de bonne grâce, suivie dans tous ses mouvements par le chien Wolf qui avait accompagné sa maîtresse. Après un souper abondant, sinon délicat, toute la petite troupe resta groupée auprès du feu, échangeant ses observations sur le plan à observer le lendemain dans la rencontre des Mormons. La conversation se prolongea tellement que Sure-Shot y fit entrer des confidences et des vues d’avenir plus éloigné :

« Peste de cette soif de l’or qui trouble la tête de tout Yankee ! s’écria-t-il. Voyez ce qu’elle a valu à mon pauvre Patrick. En serai-je plus heureux quand j’aurai des lingots dans ma poche ? Elle en sera un peu plus lourde et voilà tout. Est-ce que je pourrai