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la vallée de San Luis, sur les rives du Rio del Norte. Le seul d’entre eux qui ait déjà traversé les plaines est leur chef, un nommé John Stebbins, et il a pris la première fois la route Cherokee et la passe de Bridger. Les Mormons me prient donc de leur envoyer un guide avec deux ou trois de mes meilleurs chasseurs. Puisqu’il s’agit pour vous d’arracher à ces gens-là la sœur de Maranée, vous pourriez vous déguiser en Indiens et jouer le rôle des hommes que je devrais envoyer. Le train en sera quitte pour séjourner quelques jours de plus dans la vallée de San Luis.

— Ah ! ce plan est excellent, dit, le premier de tous, Archilète. Rien n’est si facile que de se déguiser ainsi. Un pigment d’ocre, de charbon de bois et de vermillon change vite la couleur de la peau ; une queue de cheval noir, à demi couverte par le bonnet à plumes dont la crête retombe en arrière figure très bien un scalp et cache la chevelure. Et pas un Indien ne tirerait ses plumes d’aigle au prophète Mormon lui-même. C’est là une amusante farce de carnaval, et j’ai bien envie d’y jouer mon rôle. Je serais content de jouer un bon tour à ces diables de Mormons. D’ailleurs, vous aurez besoin d’un guide, capitaine, et je connais tous les tours et détours de ce pays. Ensuite, je me flatte de pouvoir remplacer avec avantage l’artiste qui vous a si bien barbouillé au cirage. Vous voyez que mon offre n’est pas à dédaigner.

— Je l’accepte avec reconnaissance, dit Édouard Warfield.

— Eh bien ! donc, je me déclare de ma propre autorité le costumier de la troupe, et je m’en vais de ce pas glaner çà et là (je n’y aurai pas de peine, seulement l’embarras du choix) les vêtements dont nous aurons besoin.

— Nous avons un blessé qu’il nous faudra bien laisser en arrière, dit le capitaine au chef des Utahs.

— Ne soyez point inquiet de lui, répondit Wa-ka-ra ; il sera transporté dans notre camp et soigné avec amitié. Si vous ne pouvez pas le reprendre à votre retour, je le rapatrierai avec l’aide des trappeurs, mes amis, dès qu’il aura la force et le désir de nous quitter. »

Deux heures après cette conversation, le capitaine et Sure-Shot firent leurs adieux à Wa-ka-ra ainsi qu’à l’Irlandais, et bien munis de tout ce que nécessitait leur expédition, ils traversèrent la vallée et pénétrèrent dans le cañon de l’Huerfano qu’Édouard Warfield ne revit pas sans émotion. La première fois qu’il l’avait traversé, il avait couru risque de sa vie ; au retour, la seconde fois, il avait eu à trembler pour celle de ses amis, et il le parcourait de nouveau pour aller courir d’autres hasards ; mais son danger personnel l’occupait peu ; il n’était tourmenté que par la présence de Marian. La jeune fille courait de grands risques, en effet, en se joignant à cette expédition ; si le résultat en était funeste à ses amis, elle tombait au pouvoir des Mormons, et cette fois, sans aucune chance de leur échapper.

Mais la jeune fille ne s’affectait point de ce danger ; elle chevauchait fièrement à côté de Franck Wingrove et causait avec Archilète dont les saillies l’amusaient ; elle ne paraissait pas gênée d’être seule ainsi avec ces quatre hommes, et elle leur promettait gaiement d’être leur ménagère aux haltes du soir, et de préparer leur gibier sans le faire noircir par la fumée.

Après être sortie du canon, la petite troupe arriva dans une plaine où les traces du train se divisaient en une fourche à angle droit. La plus méridionale conduisait à Tuchada, par la passe Sangre de Christo. Les chercheurs d’or étaient allés par celle-là, accompagnés par l’escorte qui rejoignait le nouveau poste militaire du fort Massachusset.

La trace vers le Nord conduisait à la passe Robideau et c’était celle qu’avait prise le train mormon. Les roues des wagons et les pieds des chevaux avaient laissé des marques bien visibles de leur passage, et il était facile de voir que la caravane devait être beaucoup plus nombreuse que ne l’avait cru Suvanée.

La petite troupe atteignit la passe Robideau juste au moment où le soleil s’abaissait sur la grande plaine de San Luis. La passe avait été le lieu du campement des Mormons la nuit précédente, les loups rôdaient autour des feux presque éteints, dont les fagots noircis élevaient encore vers le ciel un mince filet de fumée.

Grâce aux explications données par l’Indien messager des Mormons à Wa-ka-ra, l’histoire du wagon capturé avait cessé d’être un mystère pour les hommes blancs. Ce véhicule appartenait aux Mormons qui étaient à une petite distance lorsque le wagon avait été attaqué par les Arapahoes. Au lieu de courir au secours de leurs infortunés camarades, ces gens sans cœur s’étaient sauvés, par frayeur