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à faire ce trajet de cinquante pas. Telle avait été l’aventure de Patrick O’Tigg. L’infanterie avait été aussi éprouvée que la cavalerie et même davantage.

Tout à coup retentit un chœur entonné au loin par les femmes utahs. Elles étaient arrivées au lieu du combat pour soigner les blessés, reconnaître les morts et leur chanter cet hymne funèbre qui doit bercer leur dernier soupir.

Ce chant lugubre ramena le souvenir d’Édouard Warfield vers la chasseresse. Maranée devait venir avec les squaws de la tribu ; elle était sans doute avec elles, occupée à donner des soins d’infirmière aux blessés utahs, et il importait au capitaine de la voir, afin d’apprendre si elle n’était pas cette Marian Holt, dont Franck Wingrove pleurait la perte. Il allait quitter ses compagnons pour aller à la recherche de la chasseresse, lorsque Wingrove, laissant Archilète occupé de Patrick, retint son ami pour lui dire :

« Voici le premier moment de liberté que nous ayons pour causer de nos intérêts et de nos sentiments, capitaine. J’ai de mauvaises nouvelles à vous apprendre.

— De qui les tenez-vous ?

— De Suvanée. Elle a voyagé quelques jours avec la caravane, et elle a appris que la moitié des gens qui la composent s’est séparée de l’autre pour suivre la route de Santa-Fé avec l’escorte ; toute le reste est une colonie mormone, et Holt continue sa route avec ces saints des derniers jours.

— Je m’étais attendu à cela, répondit Édouard Warfield. N’avons-nous pas toujours pensé que ce John Stehbins était un agent recruteur ? S’ils font route vers le lac Salé, nous les suivrons, dussions-nous aller jusque là. Vous dites que Holt est un bon père, et je le crois un très brave homme ; mais il est ignorant ; il ne sait rien des mœurs et des mauvaises doctrines des Mormons ; nous lui ouvrirons les yeux, nous lui prouverons qu’il travaille au malheur de sa fille et à son propre déshonneur, et il reviendra avec nous. En vérité, je ne vois pas dans cette nouvelle de quoi vous désoler à ce point.

— C’est que je ne vous ai pas tout dit, s’écria Franck Wingrove en soupirant. Si je puis douter de la véracité de Suvanée à propos de cette nouvelle, je ne puis l’accuser de m’avoir trompé en m’en disant une autre, bien plus cruelle à mon cœur. J’ai vu tomber de véritables larmes des yeux de cette Chicassaw lorsqu’elle m’a appris… Ah ! comprenez ma douleur. Marian est morte ! et Franck Wingrove fut obligé de s’appuyer sur le bras de son ami.

— Suvanée a pu se tromper, dit le capitaine qui n’osait pas s’avancer davantage. D’où a-t-elle appris ce que vous dites ?

— De la bouche du vieux Holt lui-même. Vous savez quelle était l’idée fixe de la Chicassaw : retrouver Marian pour vivre auprès d’elle. Suvanée a donc rejoint la caravane, et est allée déclarer son intention au squatter qui s’est mis à sangloter en lui disant : « Ma pauvre fille est morte dans son voyage à travers les prairies. » Alors Suvanée est retournée sur ses pas, et, pour n’être pas molestée par quelque parti d’indiens, elle s’est jointe aux Arapahoes, attendant qu’ils allassent jusqu’aux Big-Timbers pour reprendre le chemin du Tennessee.

— Elle n’est point morte, s’écria Édouard Warfield. Tenez ! Cette belle jeune fille qui passe là-bas, le bras sur l’épaule de Suvanée, qui pourrait-ce être, sinon votre Marian, mon cher Franck ?

— Je crois rêver, dit le chasseur. C’est bien son port, sa taille ; et il voulut s’élancer, mais ses jambes fléchirent sous lui.

— Attendez ici, il vaut mieux que je la prépare à vous revoir. »

Le capitaine sauta en selle, et partit vers le groupe que formaient au loin les deux femmes. Suvanée était radieuse de joie, mais en voyant Édouard Warfield, elle mit un doigt sur les lèvres comme pour lui recommander la discrétion ; un peu interdit par ce geste dont il ne comprit point la portée, il laissa la chasseresse lui parler la première :

« Je suis heureuse, monsieur, de vous retrouver sain et sauf, lui dit-elle. J’apprends que vos compagnons de voyage sont tous vivants. J’espère qu’ils ne sont pas blessés ?

— Pardonnez-moi ; l’un deux l’est cruellement, et en outre, il a été scalpé vivant.

— Conduisez-moi vers lui, je le soignerai, je me connais en blessures, dit Suvanée.

— Vous pouvez avoir confiance, en cette fille, dit la chasseresse à Édouard Warfield, elle connaît toutes les simples de la flore américaine, et elle est fort habile dans leur préparation. J’irai d’ailleurs avec elle, car notre