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triste, je n’ai plus envie de rire maintenant. Les misérables ! ils ont tué mon pauvre Patrick… Ah ! c’était une bonne pâte d’homme, qui croyait toujours à mes histoires, même quand elles étaient… fantastiques, et je l’aimais… Aussi, je ne veux pas qu’il soit dévoré par les chacals ou déchiqueté par les busards. Je veux chercher son corps pour lui donner une sépulture chrétienne.

— C’est une bonne pensée, Sure-Shot, dit le capitaine ; mais savez-vous ce que les Indiens ont fait du cadavre de notre pauvre camarade ?

— Il était là hier, au pied de la butte, juste à la place où ils l’avaient scalpé, et ce matin, je ne l’y ai plus vu. Qu’ont-ils pu en faire ? »

Cette disparition était singulière. Il n’était pas probable que les loups eussent mangé le corps de Patrick durant la nuit, puisque le camp des Indiens avait été établi là, et que des feux y avaient été entretenus. Les quatre compagnons explorèrent tous les abords de la butte sans trouver le triste objet de leurs recherches.

« La rivière ! » dit tout à coup L’ex-rifle-man.

Elle coulait à cinquante pas du monticule. Ils se dirigèrent de ce côté, espérant peu y rencontrer les restes de l’infortuné Irlandais, car le courant de l’Huerfano était rapide et devait avoir entraîné le corps. Ils suivirent les rives ombragées de saules dont les longues branches pendaient dans l’eau. Wingrove était en tête de la petite troupe.

Tout à coup il s’arrêta et se baissa pour examiner le sol. Une exclamation lui échappa et il dit à ses compagnons :

« Quelqu’un a rampé par ici ou y a été traîné… Non, il s’est traîné lui-même sur ses mains et sur ses genoux. Tenez ! Voyez ici la trace d’un genou couvert de drap. Un Indien n’aurait pas fait cette marque. »

Ils se penchèrent tous et reconnurent que l’observation du chasseur était juste.

« Pardieu ! s’écria Sure-Shot, ces lignes ont été faites par la pression d’un drap commun, usé jusqu’à la corde. C’est le drap de l’infanterie, le bon drap du gouvernement. Patrick a passé par ici. Mais il est impossible qu’il vive encore !

— Sure-Shot, Sure-Shot, est-ce vous que j’entends ? » murmura une voix faible qui semblait sortir de terre.

Les quatre hommes reculèrent d’étonnement, et restèrent pétrifiés.

« Sure-Shot, continua la voix, ne voulez-vous pas m’aider ? Je n’ai pas la force de grimper sur la rive.

— Patrick ! s’écria l’ex-rifleman en frottant ses yeux humides, Patrick, où êtes-vous donc, bon Dieu ! Est-il possible que vous soyez encore vivant ?

— Oh ! vivant, je suis aux trois quarts mort et à moitié noyé. Hurrah ! tout de même, puisque vous êtes là. Venez, enfants, et tirez-moi d’ici avec précaution, car j’ai une jambe cassée. »

Ils coururent sur le bord de la rivière, d’où la voix paraissait venir, et ils aperçurent sous les saules le pauvre Patrick, dont le corps était à demi enfoncé dans l’eau, et dont le crâne laissait voir sa tonsure horrible, brune de sang figé. Ils sautèrent tous à l’eau et le transportèrent sur la rive. Il n’était pas étonnant que les Indiens eussent cru l’Irlandais mort au moment où ils Lavaient scalpé, car, outre sa jambe cassée au-dessous du genou, il avait plusieurs autres blessures.

« Bah ! bah ! il y a de l’espoir, dit Archilète après avoir examiné Patrick avec toute la gravité d’un chirurgien émérite. Transportons-le près de la butte. Les Arapahoes y ont abandonné tous leurs bagages ; nous y trouverons des couvertures à discrétion. »

Le blessé fut transporté à bras près du wagon ; on alluma du feu pour le sécher et on l’étendit dans un bon lit fait de peaux et de couvertures de laine accumulées. Peu à peu, à mesure qu’il fut ranimé par les bons soins de ses compagnons, l’Irlandais leur fit le récit de son aventure.

Pendant le combat, il était tombé sans connaissance, assommé, avait-il cru, par un coup de massue. C’était à ce moment qu’un Indien l’avait scalpé. Plus tard, il était revenu à lui, et n’avait point bougé en se trouvant accroupi et les mains sur sa figure dans la position où il s’était sans doute évanoui. Cette posture l’avait aidé à suivre des yeux les mouvements des Indiens qui ne s’étaient pas inquiétés d’un mort bien et dûment scalpé. De temps en temps un sauvage ivre avait passé auprès de lui, et il attendait toujours de ces rôdeurs un coup de lance qui l’aurait achevé. Enfin, la nuit venue, il s’était traîné vers la rivière, autant pour se cacher que pour étancher sa soif et il avait mis plus d’une heure