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Un cercle de ferles enserrait, et à moins d’une charge désespérée qui leur ouvrît un passage, ils devaient tous rester sur le champ de bataille.

Les Utahs de la quatrième division se mirent à les poursuivre, les chassant du côté de Wa-ka-ra. Quelque bien montés que fussent les trois cavaliers blancs, ils ne purent maintenir leurs chevaux à ce train effréné.

Tout l’espace qui les séparait étant nettoyé d’ennemis, ils prièrent Archilète de tenir leurs chevaux un instant, pendant qu’ils monteraient sur la plate-forme afin de secourir le pauvre Sure-Shot, si toutefois l’ex-rifleman vivait encore ; mais ils n’eurent pas longtemps cette anxiété, car pendant qu’ils approchaient de la base du monticule, une voix, celle du patient lui-même, partit de la plate-forme pour leur crier :

« Hurrah ! hurrab ! Courez sus à cette vermine ; burrah ! hurrah pour vous, qui que vous soyez !

— Votre ami vit ; il ne court plus aucun risque, leur dit Archilète ; donc, je crois que vous feriez bien d’aller rejoindre les Utahs au lieu de vous arrêter ici. »

La mêlée était finie lorsque les cavaliers blancs arrivèrent sur le champ de bataille ; ils n’y trouvèrent qu’une centaine de cadavres, tant Arapahoes qu’Utahs, mais tous reconnaissables, car les premiers étaient déjà scalpés, tandis que les autres gardaient encore intacte la noire tresse de leur chevelure.

Un groupe d’une douzaine d’hommes attira leur attention. Ils y coururent, craignant qu’il ne fût arrivé malheur au vaillant Wa-ka-ra ; mais ils furent rassurés au premier coup d’œil jeté sur le cadavre que les cavaliers utahs gardaient précieusement. C’était la Main-Rouge.

Édouard Warfield et Franck Wingrove étaient de ces hommes auxquels la vue du cadavre d’un ennemi n’est jamais agréable. Dès qu’ils eurent appris que Wa-ka-ra, sain et sauf, dirigeait lui-même la poursuite, ils tournèrent bride et se dirigèrent vers la butte, en laissant cheminer d’une allure plus lente leurs chevaux fatigués. Le Mexicain les suivit, car il avait pris en gré ses nouveaux compagnons.

Ils purent donc causer dans le trajet, et Édouard Warfield eut le vif désir d’apprendre a son ami qu’il pensait avoir retrouvé Marian ; mais il eut peur d’avoir été trompé par une analogie de situation et de donner une fausse joie à Franck Wingrove. Il se borna donc à lui demander comment il avait pu échapper aux tortures que lui et Sure-Shot avaient subies.

« C’est Suvanée qui m’en a préservé, répondit le chasseur, et je ne serais pas tenu à lui en être reconnaissant, du moins d’après elle, car elle prétend ne m’avoir protégé que par amour pour Marian. Du reste, elle a pris plaisir à me tourmenter en paroles ; mais ce n’était rien là auprès de ce que vous avez souffert, vous et Sure-Shot. Elle a réussi à me faire épargner en laissant croire à la Main-Rouge que je me prêterais à instruire ses hommes dans le maniement des armes à feu, et quand les Utahs ont paru, les Arapahoes allaient me faire renouveler l’épreuve dans laquelle Sure-Shot vous a délivré hier. J’allais être obligé de tirer sur notre pauvre camarade, et comme j’aurais refusé, ne me sentant pas aussi habile que lui, mon scalp aurait couru grand danger… Mais nous voici près de la butte.

— Montons tous, dit Archilète en attachant son cheval à un cèdre. Je veux serrer la main de ce vaillant tireur. »

Le poteau de la plate-forme se dressait devant eux, et Sure-Shot, bariolé de noir, de blanc et de rouge, était visible maintenant. Mais pour être réduit à l’immobilité par les liens qui le serraient contre la pièce de bois, l’ex-rifleman n’avait rien perdu de ses facultés visuelles et mentales, car il s’écria :

« Par toutes les étoiles de l’Union, est-ce vous, capitaine ? Wingrove, est-ce vous ?

— Oui, brave camarade, lui cria Édouard Warfield. Votre coup de fusil d’hier nous a tous sauvés. Patience ! nous montons vous délier. Êtes-vous blessé, par malheur ?

— Non, non. À quoi servent à ces bêtes brutes la paire d’yeux que la nature leur a donnés ? Ils ne savent jouer que des jambes.

Le capitaine, le chasseur et Archilète montèrent délier l’ex-rifleman, et malgré le barbouillage qui le défigurait, ils ne purent se tenir de l’embrasser.

« Pauvre camarade ! dit Édouard Warfield, vous avez bien souffert, et pour moi encore !

— Bah ! je me suis amusé à les mettre en rage. À chaque coup manqué, je les plaisantais. La Main-Rouge en grinçait des dents. C’était très drôle… Mais c’est fini, poursuivit Sure-Shot en prenant tout à coup une figure