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tient la tête de la colonne avec son chef, le lieutenant Van Dyck.

— Pourquoi pas ? dit l’autre d’un ton assez renfrogné. Nous sommes maintenant tout près de la ligne de crête des deux versants, à ce que dit Flèche-Rouge… Au diable les versants ! Que j’aimerais bien mieux en être sorti et me voir de retour au fort ! Voyez-vous, mon cher, je crains bien que nous n’ayons suivi cette trace trop avant, et que nous n’ayons sujet de le regretter.

— Bah ! fit gaiement Armstrong, le mal n’est pas grand ! Il y a au moins quelque plaisir à se dire qu’on est dans un pays où bien peu de blancs doivent jamais avoir pénétré, et qu’on ne peut compter que sur soi-même pour défendre sa peau contre messieurs les Sioux ! Je vous assure, mon cher Van Dyck, que je ne voudrais pas, pour beaucoup, changer ma place contre celle d’un des camarades restés au fort ! Songez donc que nous pouvons avoir la chance de découvrir où mène cette trace !

— Oui, mais nous avons dépassé nos instructions en venant jusqu’ici, fit remarquer Van Dyck du même ton dolent, et je ne suis pas du tout sûr que nous ne serons pas, de ce chef, sévèrement réprimandés. J’ai eu tort de vous céder sur ce point.

— Eh bien ! je ne vous demanderai pas de faire un pas de plus, si nous ne découvrons rien avant ce soir, dit le jeune officier d’un ton insinuant. Après tout, quel danger peut-il y avoir à suivre la trace d’un vieux mât de hutte ? Eh ! mais je ne me trompe pas ! on dirait qu’il y a du nouveau ! »

Il montrait en avant un des guides qui se penchait vers le sol, comme s’il avait aperçu quelque chose d’intéressant.

Presque au même instant, l’Indien fit tourner bride à son cheval, et revint au galop vers les deux officiers en agitant sa couverture.

L’effet de cette manœuvre sur le détachement fut immédiat. On put voir les hommes, tout à l’heure à demi endormis sur leur selle, se redresser et regarder avec curiosité le guide qui s’approchait.

Il fut bientôt arrivé devant la tête de la colonne, et aussitôt il arrêta son cheval.

C’était un grand gaillard aux muscles vigoureux et aux traits pleins d’énergie, accoutré d’un costume qui tenait le milieu entre celui du sauvage et celui de l’homme civilisé. En fait d’armes, il tenait à la main un fusil de Winchester, et son corps était littéralement bardé de revolvers plus rouillés les uns que les autres.

« Eh bien ! qu’y a-t-il donc, Flèche-Rouge ? lui demanda Van Dyck, qui avait quelque peu devancé ses hommes. Avez-vous vu du nouveau ?

— Nouvelle trace, — cheval américain, — mulets, — hommes blancs, dit l’Indien d’un ton guttural en se servant du peu de mots anglais qu’il pouvait avoir appris aux alentours du fort, et remplaçant les verbes par une gesticulation vive et animée.

— Des blancs ici ? s’écria le lieutenant très surpris. Et comment le savez-vous ? »

La face bronzée du guide eut une expression de dédain, tandis qu’il répondait laconiquement :

« Trace cheval ferré. »

Van Dyck semblait fort perplexe en revenant vers son collègue et lui communiquant la nouvelle.

« Je me demande ce qu’il y a à faire, disait-il. Suivre cette trace ou nous en retourner ?… »

Frank Armstrong le regarda un instant et put à peine réprimer un sourire.

« Il me semble évident que notre devoir est de suivre cette trace et de découvrir ces hommes, répliqua Frank après un instant de silence. Ce ne sont peut-être que des marchands… — à moins que… murmura-t-il, comme s’il se parlait à lui-même, à moins que… »

Il n’acheva sa phrase que dans sa pensée.

Au lieu de calmer les inquiétudes de Van Dyck, l’attitude de Frank parut les redoubler.

« Des marchands ?… Ce n’est pas ce qui vaudrait le mieux, dit-il vivement. Les marchands qui font le commerce avec les Indiens n’aiment guère qu’on se mêle de leurs affaires, et sont capables de tout pour en garder le secret. Après tout, nous n’avons pas pour mandat de chercher des dangers inutiles. Et, comme c’est moi qui suis responsable, je m’y oppose formellement. »

Le sous-lieutenant n’objecta pas un mot à cette déclaration, mais il demanda simplement à l’Indien. :

a Les gens qui ont laissé cette trace sont-ils loin ?… Dans combien de temps pourrions-nous les atteindre en allant bon train ? »