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a-t-elle été respectée par les Utahs à l’égal d’un fétiche ; tous les honneurs, tous les égards, toutes les douceurs que peut comporter la vie indienne lui ont été prodigués par la tribu, tant la recommandation de Walker était puissante. Oh ! c’est lui qui a fait les Utahs ce qu’ils sont ; il les a décrassés de leur ignorance, et leur a donné des notions de justice et d’humanité. Aussi, c’est leur grand homme, leur bienfaiteur. Et ne croyez point, capitaine, que vous deviez des remerciements à Wa-ka-ra pour l’aide qu’il vous donne. Il vous l’aurait certainement accordée contre n’importe quels autres tourmenteurs d’hommes blancs ; mais, dans ce cas spécial, c’est lui qui est votre obligé. Vous lui avez donné l’occasion de venger sur les Arapahoes la mort de Walker, que ces misérables ont tué deux mois après qu’il eût arraché Maranée de leurs mains.

— Mais cette Maranée, d’où venait-elle ? demanda Edouard Warfield, en proie à une curiosité qu’il ne s’expliquait pas à lui-même. Vous n’avez pas répondu encore à cette question.

— Elle venait de vos États occidentaux et faisait partie, malgré elle, d’une caravane de Mormons. Se sentant forte de son courage, elle voulut leur échapper ; elle s’imagina pouvoir traverser les prairies sans danger et sans risque de mourir de faim, sachant se servir de son rifle avec autant d’habileté qu’un jeune trappeur. Ah ! c’est une vaillante créature, qui a su tenir tête à la Main-Rouge et lui a blessé ou tué trois de ses hommes en se défendant contre le parti d’Arapahoes qui l’avait capturée.

— Mais ne savez-vous rien de sa famille ? Comment pouvons-nous croire que, dans un pays civilisé, un père et une mère consentent à laisser partir leur fille avec ces infâmes Mormons ? Maranée était-elle orpheline ou ces Saints des derniers jours, comme ils s’appellent, l’avaient-ils emmenée de vive force ?

— Je n’ai point la mémoire des noms, répondit Archilète ; si elle ne me manquait pas, je pourrais vous dire celui du père de Maranée, car je l’ai su. Ce brave homme avait été abusé par un sien ami qu’il ne savait peut-être pas Mormon, et auquel il avait confié sa fille, espérant lui procurer un meilleur avenir que celui qu’il pouvait lui offrir sur sa petite plantation du Tennessee.

— Ah ! c’est Marian ! c’est Marian ! s’écria Edouard Warfield transporté de joie.

— En effet, c’est son nom chrétien, dont les Indiens ont fait Maranée. Mais pourquoi êtes-vous si ému ?… Attention, vous me conterez ça plus tard. Voilà le signal de Wa-ka-ra. Descendons. À cheval ! À cheval ! »

Le temps des explications n’était pas encore venu. Il fallait courir à l’action. Le capitaine reprit son rang dans la troupe d’indiens, qui se précipita dans la vallée en criant son terrible : Ugh-aloo.

De l’autre côté de la butte, débouchait en même temps la division de Wa-ka-ra. Elle était trop loin pour qu’Édouard Warfield entendit son cri de guerre ; mais celui que la quatrième division avait poussé fut répété à gauche et à droite, d’où s’abattirent dans la plaine deux avalanches de guerriers utahs.

Les Arapahoes surpris jetèrent des exclamations qui trahissaient encore plus de terreur que d’étonnement ; mais des hommes rouges ne sont abattus que peu d’instants par une panique, et retrouvent vite un courage désespéré.

La plaine offrait en ce moment un curieux spectacle. Les Arapahoes se serraient autour de leurs chefs, pendant que du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, les quatre bandes d’Utahs s’avançaient au grand galop. On ne pouvait encore prévoir si les Arapahoes attendraient attaque simultanée des quatre divisions, ou s’ils se décideraient à charger la plus proche.

— Carambo ! dit le Mexicain tout en trottant auprès du capitaine, je m’étonne qu’ils n’aient pas encore attaqué Wa-ka-ra. Mais, voici un petit parti d’Arapahoes dans ce bosquet. Ils attendent ceux-ci, c’est ce qui les a retenus.

En effet, une vingtaine d’hommes à pied sortirent d’un bosquet de cotonniers ; quelques-uns portaient des blessés. Un groupe d’indiens à cheval partit de la base du monticule pour aller à leur rencontre, et, comme les hommes à pied marchaient plus ou moins vite, selon qu’ils avaient les mains libres ou qu’ils portaient leurs compagnons endommagés, le capitaine en aperçut deux ou trois qui poussaient en avant, contre son gré, un homme dont les mains étaient liées.

« Un captif ! s’écria le Mexicain. Son scalp est en danger.