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d’opérer leur retraite vers l’Arkansas, ce parti de guerriers pouvait les arrêter. La seconde division devait s’avancer en tournant jusqu’à un point presque opposé à la butte Orpheline, par un ravin connu seulement des Indiens. La troisième devait faire un mouvement en sens contraire par une autre ravine, pendant que le reste des guerriers attendrait, à une autre ouverture du cañon, que les trois autres corps eussent atteint leurs postes respectifs.

À un signal convenu, les quatre divisions devaient s’élancer au grand galop sur les Arapahoes. Le premier parti de guerriers, ayant à marcher plus loin que les autres pour prendre sa position, était chargé de donner le signal, qui consistait en un feu allumé dont la fumée devait être visible pour les trois autres divisions.

Ce plan était bien conçu, et si les Arapahoes étaient encore dans la vallée de l’Huerfano, il devait aboutir à un combat acharné.

L’exécution de ces mouvements commença près de la place où le fugitif avait dormi la nuit précédente. Il y avait là un défilé latéral qu’Édouard Warfield n’avait point remarqué dans l’obscurité. Du reste, toute cette région était coupée de passes connues des seuls Utahs, et que les Arapahoes ignoraient, eux qui n’appartenaient point à ces parages.

Wa-ka-ra et sa division s’enfoncèrent au galop dans cette ravine, suivi du second parti qui allait plus lentement, devant s’engager en route dans un autre embranchement de ce défilé.

Quand le reste de la troupe atteignit le cañon principal, la troisième division prit une autre ravine.

La quatrième division, dont le capitaine et Pedro Archilète faisaient partie, suivit le sentier que le fugitif avait parcouru la veille au soir. Peg-Leg était un simple volontaire ; mais il avait eu maille à partir avec les Arapahoes autrefois, et il se promettait de n’être pas inactif dans le combat.

Le chef de cette petite troupe était un vieux guerrier dont les balafres et les cheveux gris annonçaient l’expérience de bien des batailles et de beaucoup de stratagèmes de guerre. Il envoya des éclaireurs en avant de peur qu’il ne restât dans le cañon des traînards de la poursuite de la nuit précédente ; ils revenaient de temps en temps pour annoncer que la voie était libre. Aussi la division atteignit-elle tranquillement l’ouverture du cañon dans la vallée de l’Huerfano ; mais elle resta dissimulée derrière les premières assises des rochers.

Le capitaine était trop impatient de savoir si l’ennemi était bien là, pour pouvoir attendre le signal. Il laissa la bride de son cheval au complaisant Archilète, grimpa à l’aide des buissons sur l’escarpement latéral du canon, et, caché par une roche, il put embrasser du regard toute la vallée de l’Huerfano.

Grâce à Dieu, les Arapahoes étaint encore là !

Les Indiens étaient assis autour des feux allumés ; les chevaux, harassés par leurs courses de stampède et la poursuite de la nuit précédente, étaient couchés sur le gazon. Le wagon était perceptible au milieu du feuillage vert des cèdres sur lequel son toit blanc tranchait ; mais les yeux du capitaine ne firent qu’embrasser ce tableau d’un seul regard, et ils se portèrent vers la butte Orpheline.

Le poteau était encore dressé sur la plateforme ; le contour de ses barres horizontales flottait indistinct, ou plutôt il était bordé en dessous d’une ligne blanche. Édouard Warfield ne s’y trompa point. C’était le corps d’un homme attaché de l’autre côté du poteau et dont les bras dépassaient un peu l’étroite barre transversale.

Lequel des amis du capitaine avait pris sa place sur le crucifix ? Une brise qui fit flotter au-dessus du poteau une touffe de cheveux jaune comme de l’or trancha la question. C’était Sure-Shot qui souffrait à la place de celui qu’il avait délivré.

Pendant qu’Édouard Warfield s’accusait presque d’avoir accepté un tel sacrifice de l’ex-rifleman, il entendit la détonation d’un mousquet dont le nuage de fumée bleue s’éleva de derrière la butte Orpheline. Les sauvages avaient recommencé leur amusement cruel de la veille. Sure-Shot leur servait de cible.

Le capitaine descendit tout indigné de son poste d’observation ; il voulait se précipiter en avant, courir au secours de l’ami qui s’était dévoué à un tel supplice pour le délivrer ; il ne raisonnait rien, et prétendait s’élancer tout seul dans la plaine. Le vieux chef de la division l’arrêta au nom de la consigne. Nul ne devait sortir de ce canon avant le signal que guettaient des vedettes placées derrière les roches les plus élevées.