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Avant que les sons de l’instrument eussent cessé de résonner, cinq cents guerriers avaient couru prendre leurs chevaux, s’étaient armés et se tenaient prêts à monter en selle.

Archilète s’empara du capitaine et lui dit gaiement, en espagnol, après avoir examiné ses blessures :

« Señor pintado (Monsieur le barbouillé, Monsieur le fardé), le meilleur remède pour vous sera un bon déjeuner ; voilà une prescription médicale qui ne vous sera pas désagréable, je pense. Pendant que Maranée consulte les ressources de son garde-manger, vous pouvez venir avec moi vous jeter un peu d’eau sur le corps. Cette peinture ne vous embellit pas du tout ; d’ailleurs, si elle pénétrait dans vos blessures, elle les rendrait plus difficiles à guérir. »

Édouard Warfield suivit Archilète qui le conduisit au ruisseau ; un bain froid, après lequel le Mexicain lui fit boire quelques gorgées de wiskey, lui fit beaucoup de bien ; et grâce aux racines broyées de palmilla — la plante à savon du Nouveau-Mexique, — les pigments noirs et blancs disparurent du corps du fugitif. Ensuite Peg-Leg appliqua sur ses blessures un peu de cactus oregano qui les ferma rapidement, et, de plus, il eut la générosité de donner au capitaine une belle couverture navajo, que celui-ci drapa sur ses épaules.

« Carambo ! dit-il, en lui offrant ce vêtement, ne me remerciez pas tant. Vous me rendrez cela si vous voulez, quand vous aurez reconquis votre bagage sur les Arapahoes. Eh bien ! vous êtes beaucoup mieux, maintenant que vous avez retrouvé votre face de chrétien. Vous me plaisez, Américano. Voulez-vous donner une poignée de main à Pedro Archilète ?

— De tout mon cœur, répondit Édouard, qui profita de cette occasion pour remercier ce charitable petit homme de ses bontés.

— Assez, assez là-dessus, dit Archilète, car voilà Maranée qui paraît au seuil de sa tente. Ne laissons pas refroidir votre déjeuner.

— Ah ! monsieur, vous n’êtes plus du tout le même, dit en souriant la chasseresse, dès qu’Édouard Warfield entra dans sa tente. Asseyez-vous, j’ai peu de chose à vous offrir : du pinole et un cuissot de daim. Je suis fâchée de n’avoir pas rapporté le bighorn dont la viande eût été excellente. Quant à du pain, nous n’en avons jamais ici, mais l’appétit est l’assaisonnement du plus pauvre repas. »

Le capitaine se mit à manger avec un entrain qui était le meilleur commentaire de cette dernière phrase. Pendant ce temps, Maranée le servait avec sollicitude, et sortait parfois sur le seuil de sa tente pour se rendre compte du mouvement des guerriers Utahs.

« Je crains qu’ils ne se hâtent pas assez, dit-elle à son hôte. On ne fait que d’élever le poteau rouge, et la danse de guerre peut durer une heure. C’est une cérémonie inutile, une pure superstition. Le chef n’y ajoute aucune importance ; mais ses guerriers n’iraient pas volontiers au combat sans avoir observé cet usage. Les entendez-vous, monsieur ? Les voilà qui entonnent le chant. »

Le capitaine entendit, en effet, une psalmodie basse et monotone, s’élevant par degrés et s’enflant en un chorus prolongé. Par intervalles, elle était coupée par des solos, que suivait une clameur générale.

« C’est le chant de guerre qui accompagne leur danse, dit-elle, vous devriez essayer de vous reposer jusqu’à ce qu’il soit fini ; car vous voudrez sans doute partir avec eux, les suivre dans leur expédition ?

— Je suis tout réconforté par la nourriture que j’ai prise, répondit Édouard Warfield, et le sort de mes pauvres amis me tourmente trop pour qu’il me soit possible de sommeiller. Mais puisque nous sommes seuls, et que je ne vous reverrai peut-être pas après notre expédition contre les Arapahoes, dites-moi de quelle commission vous voulez me charger pour les États-Unis. Je suis prêt à traverser le continent s’il le faut, afin de vous prouver ma gratitude pour le service que vous m’avez rendu aujourd’hui. »

La chasseresse demeura un instant toute pensive :

« Je crains d’être indiscrète, lui dit-elle, en vous faisant savoir mon désir. Vous avez l’intention de retourner aux États-Unis. Voulez-me permettre de vous y accompagner ? »

Le capitaine fut si surpris de cette proposition inattendue qu’il ne répondit pas tout de suite.

« Il n’est rien que je ne sois prêt à faire pour vous qui allez me rendre mes amis ou m’aider à les venger, dit-il à la chasseresse, mais mon voyage n’est point terminé et il promet d’être périlleux.