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des moutons et des chèvres composaient un chorus bizarre.

« À la tente du chef, dit la chasseresse à son compagnon ; mais voici venir Wa-ka-ra. »

Et avant que le capitaine eût le temps d’arrêter son cheval, elle glissa à terre et alla au-devant de ce personnage.

Wa-ka-ra était un homme de quarante ans ; sa taille moyenne avait des proportions parfaites ; il portait une tunique de peau de daim brodée en couleurs, des guêtres écarlates, et sur sa tête une sorte de chaperon empenné. Un sérapé rayé jeté sur son épaule gauche et une ceinture de crêpe de Chine rouge entourant sa taille complétaient ce costume, pittoresque plutôt que sauvage, bien harmonisé avec l’expression d’une physionomie très douce qu’animaient seulement deux yeux aussi vifs que ceux d’un aigle.

Si Édouard Warlield avait mieux connu le chef des Utahs, il aurait su que cette expression de douceur correspondait à un trait analogue de son caractère. Wa-ka-ra était renommé pour ses prouesses guerrières, mais jamais la moindre cruauté n’avait souillé ses exploits. Ce chef était cependant redouté des rives du Rio Bravo aux sierras de la Haute-Californie, et de l’Orégon à l’Arispe. C’était l’ami du célèbre trappeur blanc Walker, dont il avait pris le nom, que l’idiome de sa tribu prononçait Wa-ka-ra.

Un singulier individu se tenait près du chef. À en juger par son costume et son type, ce devait être un Mexicain. Il était vêtu d’une jaquette, d’un large pantalon de velours marron et coiffé d’un sombrero (chapeau) à larges bords. Il était petit, de teint plus clair que Wa-ka-ra, et, malgré son air intelligent, toute sa personne était un peu grotesque. Il portait, pendue à sa ceinture de cuir, une pièce de bois longue d’environ dix-huit pouces. Au plus gros bout de ce bâton était une concavité, ayant pour anses les courroies de cuir qui maintenaient ce singulier appareil à la ceinture.

Comme Édouard Warfield l’apprit assez vite, ce bizarre petit homme était le fameux Pedro Archilèté que ses camarades nommaient Peg-Leg (jambe de bois) un des plus célèbres trappeurs de ces régions. Le bâton qu’il portait à sa ceinture n’était autre chose qu’une jambe artificielle, dont il se servait lorsque sa jambe droite, dont la cheville avait été abîmée par accident, se trouvait fatiguée par une longue marche. Le reste du temps, il portait sa jambe de renfort à sa ceinture.

La présence du trappeur dans le camp indien était facilement explicable. Les Utahs vivaient en paix avec les settlements de la vallée de Taos, et les blancs commerçaient librement avec eux. Peg-Leg était l’hôte de Wa-ka-ra.

« La chasseresse est revenue bien vite, dit le chef des Utahs lorsque la jeune fille l’eut abordé, et elle rapporte un étrange gibier. C’est un face-pâle, si je ne me trompe ; mais ce n’est pas la coutume de mes frères blancs de se teindre la peau et de se dessiner des cercles blancs sur la poitrine.

— La peinture n’est pas de lui, répondit la chasseresse ; elle a été faite par ses ennemis, par des hommes rouges. Le cercle blanc était une cible sur laquelle on a tiré, et le face-pâle a perdu beaucoup de son sang. Lorsque Wa-ka-ra saura qui a fait couler ce sang, il voudra venger mon frère blanc.

— De quel côté vient l’étranger et qui a répandu son sang ?

— Il vient de l’Est, et il a été outrageusement traité par les Arapahoes.

— Ugh ! s’écria le chef en fronçant le sourcil, où le face-pâle a-t-il rencontré ces chiens-là ?

— Sur l’Huerfano.

— Bon. La chasseresse apporte des nouvelles qui réjouiront le chœur des guerriers Utahs. Est-il sûr que les Arapahoes aient osé venir si près de nous ?

— Mon frère blanc les a vus là, et a été le captif de la Main-Rouge. »

À la mention de ce nom, la figure douce du chef prit une expression terrible, et il alla interroger Édouard Warfield. Wa-ka-ra parlait assez bien l’anglais, grâce à son alliance avec les trappeurs, et c’était dans cette langue qu’il s’était entretenu avec la chasseresse. Ses questions au capitaine se rapportaient aux particularités qui pouvaient l’éclairer sur le plan d’attaque à adopter. Aussitôt qu’Édouard Warfield lui eut donné tous les renseignements nécessaires, le chef des Utahs déclara qu’il allait préparer ses guerriers pour partir immédiatement pour une expédition à la vallée de l’Huerfano.

Aussitôt, un clairon se fit entendre, sonnant une fanfare ; sons étranges dans un camp indien !