Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/461

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le capitaine était dans une situation si désespérée que, malgré les objections de sa raison, il se prenait à avoir foi à l’espoir que la jeune femme lui avait donné, et malgré son désir de l’interroger, il ne l’osait point, de peur que ses paroles ne continssent malgré lui quelque doute capable de blesser la chasseresse.

Ce fut elle qui rompit le silence à un endroit où l’arabe dut ralentir son allure à cause des roches qui obstruaient le sentier :

« Vous êtes un officier de l’armée américaine ? lui demanda-t-elle.

— Comment avez-vous pu le deviner ? Je n’ai plus une pièce de mon uniforme.

— Oh ! je vois ici une marque où des cordons ont été, là, sur votre pantalon.

— C’est vrai. Les Arapahoes ont arraché ces passementeries.

— Et quel motif vous a conduit dans ces parages ? Vous alliez en Californie chercher de l’or, je suppose ?

— Non, en vérité ! c’était une expédition moins intéressée, mais follement commencée, mal méditée. Je comptais revenir bientôt aux États-Unis.

— Ah ! vous avez l’intention de retourner sur vos pas ! Mais vous me dites que vous suiviez la caravane, vous et vos trois compagnons de voyage. Pourquoi n’étiez-vous pas avec elle ? Cela aurait été plus sur pour vous. »

Le capitaine hésitant à répondre, elle continua :

« Il n’est pas dans les habitudes courantes de voyager en si petit nombre dans les prairies. Il y a toujours danger du côté des Indiens… quelquefois des blancs aussi ! Oui, certes, il y a des sauvages blancs pires que les sauvages rouges, bien pires… bien pires !… »

Ces étranges paroles firent tourner la tête au cavalier, qui vit sa compagne devenue toute mélancolique. En la regardant ainsi de côté, il crut surprendre en elle une vague ressemblance avec Lilian Holt. Ce n’étaient pas les traits, différents chez la jeune fille blonde, mais plutôt des rapports subtils entre la coupe des yeux, entre les intonations de la voix, entre le style des gestes. Il repoussa cette idée comme absurde et causée par ce sentiment qui lui rappelait sans cesse Lilian, et il répondit :

« Vous n’avez pas trop bonne idée des hommes de votre race. J’espère pourtant que ce n’est pas votre expérience personnelle qui vous les fait juger ainsi ?

— Si, vraiment ; j’ai peu de raison d’aimer ceux de ma couleur, c’est-à-dire si je me considère comme blanche.

— Mais vous l’êtes sans aucun doute.

— Pardonnez-moi, j’ai du sang indien dans les veines, peu sans doute, mais assez pour aimer, la vie libre au fond des bois et pour détester les blancs qui m’ont fait du mal.

— Votre histoire doit être étrange, dit le capitaine ; mais je n’ai pas le droit de vous demander votre confiance.

— Oh ! vous pouvez la gagner, et si vous retournez aux États-Unis, je vous donnerai une commission qui me tient fort au cœur.

— Je vous promets d’avance de faire tout ce que vous désirerez. Mais ne pourrais-je savoir par quel concours de circonstances vous vous trouvez dans ce pays désert ?

— C’est toute mon histoire que vous me demandez là, et je n’ai pas le temps de vous la raconter. Si vos camarades ne sont pas déjà morts, ils courent en ce moment de grands dangers. C’est là la seule affaire qui doit vous intéresser aujourd’hui. Mon affaire, à moi, c’est de parvenir à bloquer la Main-Rouge dans la vallée de l’Huerfano. S’il en échappe, ce sera un grand chagrin pour un homme qui est mon bienfaiteur.

— De qui parlez-vous ?

— De l’ennemi juré des Arapahoes, de Wa-ka-ra, le grand chef des Utahs. Vous le verrez bientôt. Pressez votre cheval. Nous approchons du camp. Voici ses fumées qui s’élèvent au-dessus des rochers.

Bientôt le canon s’élargit et s’ouvrit sur un riant vallon tout gazonné. Les cônes blancs d’un campement d’indiens apparurent, serrés comme les alvéoles d’une ruche.

« Regardez, dit la chasseresse, voici les tentes des Utahs. »

Les loges étaient alignées en deux rangs avec une large avenue entre elles. À leur tête, on en voyait une plus grande, c’était le wigwam du chef.

L’arrivée d’un étranger, amenant la chasseresse en croupe, causa une grande sensation d’étonnement. Les joueurs abandonnèrent leur partie, les squaws laissèrent leur travail ; les enfants coururent se cacher en criant derrière leurs mères, pendant que les chiens aboyaient, et que le hennissement des chevaux, le braiment des ânes et le bêlement