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Rouge avant que le jour ne revînt, car ses traces avaient pu être facilement suivies, maintenant que la lune brillait. L étroite ouverture du cañon était inondée de ses rayons.

Il essaya de se remettre en route, à petits pas, mais il était tellement rompu de fatigue qu’il fut bientôt obligé de descendre de nouveau de son cheval. Il s’étendit donc de son mieux sur le gazon, et s’endormit d’un profond sommeil.

Il ne s’éveilla qu’à l’aube. Une bande de lumière d’une teinte orangée bordait le haut des rochers, annonçant le lever du soleil. Édouard Warfield n’avait pas autre chose à faire que d’avancer encore, car il sentait les aiguillons de la faim.

Soudain, la forme d’un animal se dressa devant lui sur une pointe de rocher. C’était le bighorn (ovis ammon) des Andes septentrionales, svelte et élégant avec ses cornes en spirale et son profil busqué. Il était à cinquante yards du point où le fugitif l’observait, mais il aurait été en aussi grande sûreté à vingt pas du capitaine, puisque celui-ci n’avait pas le moyen de tirer sur cette superbe bête qui l’aurait certes nourri plusieurs jours.

L’instinct du chasseur fit raisonner Édouard Warfield sur les moyens qu’il aurait employés pour tirer sur ce bighorn si son fusil avait été chargé.

Jusqu’à ce moment, le fugitif n’avait pas songé à se rendre compte de ce fait. Il tira la baguette et l’enfonça dans le canon. La tête frappa contre une substance molle ; le tire-bourre dépassait de quatre doigts le bout du canon : le rifle était chargé ! Il manquait seulement une capsule sur le chien… Mais l’Indien n’avait pas su peut-être qu’il en fallût mettre une, et c’était pour cela que son coup avait raté quand il avait tiré sur le fugitif. Selon toute probabilité, celui-ci devait sa vie à l’ignorance du sauvage.

Édouard Warfield dut à une circonstance analogue la chance d’avoir des capsules à son service. La boîte creusée dans la crosse du rifle avait échappé à l’attention de l’Indien. Le premier oubli de l’Arapaho poussa le capitaine à ouvrir le couvercle de cuivre guilloché, et les capsules brillèrent à ses yeux. Il en ajusta une, attacha son cheval à un arbre et se glissa sous les cotonniers.

Bientôt il eut à traverser une flaque d’eau assez claire ; il se souvint qu’il avait soif autant que faim, et, au risque de perdre son coup de fusil, il se baissa-pour boire. Quand il eut avalé quelques gorgées de ce breuvage frais, il se releva et aperçut tout à coup au long de la flaque d’eau, sur la terre humide, des traces de pas ; les pieds qui les avaient faites étaient chaussés de mocassins de si petites dimensions, qu’il était impossible de se méprendre au sexe de la personne qui les portait. Une femme venait de passer en cet endroit, une Indienne probablement.

Ce fut la la première réflexion que fit le capitaine, et il songea que Suvanée pouvait avoir été employée à le poursuivre ; mais Suvanée n’avait pas un aussi petit pied, et elle marchait l’orteil en dedans, comme toutes les filles de la race rouge ; or, dans les traces qu’Édouard Warfield avait sous les yeux, les orteils étaient tournés en dehors. Était-ce donc une femme blanche qui habitait près de cette gorge déserte, au fond des grandes prairies ?

Derrière ces traces, et tout aussi fraîches étaient celles d’un chien de grande espèce, comme en témoignait leur écartement. Était-ce par hasard une femme de la caravane qui s’était égarée là, et qui errait à l’aventure, accompagnée d’un animal, fidèle, mais incapable de la protéger contre les attaques des fauves ? Cette conjecture émut le jeune homme, car elle le fit songer à Lilian, pour laquelle il avait entrepris ce voyage si fécond en terribles péripéties.

Mais comme il n’entendait aucun bruit de pas humains, Édouard Warfield songea qu’il aurait plus de forces pour se mettre à la recherche de la femme aux mocassins, après avoir pris quelque nourriture, et cette pensée, corroborée par la faim dont souffrait son estomac, lui rappela l’objet de sa poursuite. Il s’avança vers le rocher sur lequel il avait aperçu le bighorn.

L’animal était toujours là, au sommet du roc ; il n’avait pas même changé d’attitude. Selon toute probabilité, il servait de sentinelle à quelque troupeau paissant derrière lui. Le capitaine, parvenu assez près de cette belle pièce de gibier pour l’abattre, épaula son arme ; mais au moment où il allait presser la détente, le bighorn sauta du haut du rocher et tomba lourdement au fond de la ravine.

Édouard Warfield crut d’abord qu’il faisait un de ces bonds si familiers à l’oins montana ; mais il comprit qu’il se trompait, en observant qu’au lieu de tomber sur ses cornes élas-