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monstres… Mais que font-ils donc à Sure-Shot ? Veulent-ils me donner le spectacle de son supplice ?

Les Indiens entouraient le déserteur et le déliaient à ce moment. Ils le mirent debout ; l’homme n’opposa aucune résistance. Deux Indiens le saisirent par les poignets, deux autres le poussèrent par derrière, l’entraînant vers le groupe des chefs. Là, il fut entouré, et pendant quelque temps, Édouard Warfield le perdit de vue. Que lui faisaient-ils donc ? En tout cas, ils ne paraissaient pas le violenter, car ce groupe resta calme, animé seulement par une conversation à laquelle chacun des chefs prenait part.

Enfin, la foule s’écarta et l’ex-rifleman apparut de nouveau en face du patient. Sa contenance avait changé, il n’y avait plus sur sa physionomie ni terreur ni désespoir ; elle respirait une sorte d’étrange confiance. Il tenait son rifle dans ses mains, et il était en train de le charger.

La surprise du capitaine se changea en indignation lorsqu’il vit son ancien soldat, son camarade de la veille s’avancer vers la ligne du tir et épauler son fusil.

« Lâche ! traître ! se dit-il, il a accepté la vie à cette condition ? lui, Sure-Shot, que je croyais vrai et franc comme l’acier !

— Capitaine, dit tout à coup Sure-Shot en anglais, langue que n’entendait aucun des Indiens, attention à ce que je vais dire. Regardez-moi d’un air colère. Laissez croire à ces vermines que nous nous querellons. D’abord, dites-moi s’ils vous ont estropié. Je sais que vous ne pouvez point parler ; mais fermez les yeux. Cela voudra dire : non. »

Le capitaine n’eut pas besoin d’un effort, en effet, pour lancer à son soldat un mauvais regard ; il l’avait cru déloyal, et ne savait encore que penser de sa conduite. Néanmoins, il ferma un instant les yeux pour faire connaître que ses blessures ne l’avaient pas estropié.

« Tant mieux ! reprit Sure-Shot en parlant toujours rapidement et du même ton menaçant ; maintenant, retirez un peu votre poignet et donnez-moi une meilleure chance de couper cette corde. Je crois pouvoir y parvenir. Elle paraît être tout d’une pièce. Si je la coupe, il y a une chance pour vous. Un seul Indien garde les chevaux de l’autre côté de la hutte. Votre arabe est là ; montez-le et partez comme l’éclair. » Le capitaine, plein de confiance dans l’ex-rifleman, abaissa son poignet par un violent effort qui fut interprété par les sauvages comme une démonstration de colère.

« Maintenant, capitaine, dit l’ex-rifleman en levant son fusil, attention. N’ayez pas peur que je vous touche. La balle est grosse ; la corde est bien contre le bois. All right ! »

Un homme à la chevelure jaune ayant un rifle à l’épaule, sa joue pâle contre la crosse, une ligne de feu et un nuage de fumée, un choc suivi par le tremblement du poteau, ce furent là pour le patient des perceptions presque simultanées. Puis, il tendit sa tête du côté droit et put juger de l’effet produit par la balle. La corde avait été touchée au point juste où elle se doublait sur le bois. Elle était plus d’à moitié coupée !

En se servant de son poignet comme d’un levier, le capitaine pouvait finir de la briser.

Voyant que l’attention de tous les sauvages était portée sur le tireur maladroit, il imprima un mouvement rapide à son poignet, rompit le reste de la corde, et de son bras droit délivré, il en débarrassa tout son corps. La lanière de cuir se déroula comme un serpent et le patient descendit du poteau.

Alors seulement quelques Indiens, de ceux qui stationnaient à la ligne du tir, l’aperçurent et poussèrent un cri ; mais, cloués à leurs places par la surprise, ils ne bougèrent pas. Les moments étaient précieux. Le capitaine traversa la plate-forme en courant et se précipita vers la descente.

Au bas de la butte, déserte de ce côté, il vit son arabe, le cheval de Wingrove et les mules, gardés par un Indien qui s’avança à la rencontre du fugitif, un rifle à la main. Il essayait de viser avant de tirer ; mais Édouard Warfield courut droit à lui. Il n’y avait d’ailleurs pas moyen d’éviter cette rencontre, puisque cet homme était en avant des chevaux.

Quand ils furent à la distance de cinq pas, l’Indien lâcha la détente… Le coup rata. Avant qu’il n’eût pu lâcher la pièce, le capitaine saisit l’arme par le canon, la lui arracha des mains par un effort désespéré et lui asséna un formidable coup de crosse. L’homme tomba comme s’il eût reçu une balle en pleine poitrine.

Tenant encore le fusil qui, par bonheur inattendu, se trouvait être son propre rifle, le capitaine courut à son arabe. Le détacher,