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les bras et le buste jusqu’à la ceinture de son pantalon. La substance dont il se servait paraissait être une pâte grasse de charbon de bois dont il oignait rudement le patient. Le cercle tracé par la Main-Rouge fut seul respecté dans ce badigeonnage nègre, mais dès que cette peinture au cirage eut été bien appliquée, l’Indien barbouilla ce cercle d’une sorte d’enduit crayeux, jusqu’à ce qu’un disque très blanc, large comme une assiette, s’étalât sur le corps noir du patient.

Un centre rouge était nécessaire pour compléter l’écusson. Le peintre parut en défaut pour la couleur et se mit à réfléchir. C’était un artiste ingénieux ; son génie lui fournit assez vite une idée. Il tira son couteau, l’enfonça d’un demi-pouce dans la cuisse du capitaine, et après avoir trempé son doigt dans le sang, il obtint le carmin désiré, dessina le centre rouge et se mit à admirer son œuvre. Un sourire témoigna de sa satisfaction, et l’Apelle basané descendit du monticule.

À sa vue, les guerriers se rassemblèrent en groupes ; tous les autres Indiens accoururent, comme à un spectacle ; les chefs leur firent signe de laisser leurs lances et d’armer leurs fusils. On marqua une ligne sur le sol, en étendant un lazo entre deux poteaux, et les sauvages, armés de leurs rifles, vinrent se poster sur cette ligne.

Alors seulement le soupçon qui avait traversé l’esprit du patient devint pour lui une réalité. Il comprit la toilette bizarre qu’on lui avait faite. Sa poitrine allait servir de cible aux sauvages !


CHAPITRE XIV
La cible vivante. — Le rifle de Sure-Shot. — Libre !


C’était une terrible position. Le capitaine était brave ; cependant il ne put retenir un frisson d’horreur en voyant se lever vers lui le canon brillant d’un rifle que la Main-Rouge épaulait en ricanant.

Le sauvage mit peut-être une minute à viser, mais ce temps fut un siècle d’agonie pour Édouard Warfield. Une sueur glacée perla sur son front… L’Indien le visa de nouveau… Le coup partit.

L’éclair de l’explosion, le filet rouge sortant du canon, le sifflement de la balle, tout cela fut simultané ; la détonation vint ensuite, mais avant que ce dernier son frappât ses oreilles, le capitaine savait qu’il n’était pas touché.

Un nouveau tireur se plaça en ligne. Le résultat fut le même.

Un troisième candidat se présenta sans plus de succès.

Un quatrième Indien prit sa place. C’était un homme basané, d’attitude froide et décidée. Il leva son arme et l’épaula avec une sorte de sécurité. « C’est pour cette fois ! se dit le capitaine sans pouvoir détourner ses yeux du canon levé sur lui, et qui le fascinait en quelque sorte. En effet, il se crut atteint ; mais la balle n’avait frappé que le bois de la croix !

Tout à coup, la troupe des tireurs se débanda et se dispersa dans la plaine. Les chefs se réunirent de nouveau, et se dirigèrent vers Sure-Shot après une délibération animée.

Le patient suivit ses persécuteurs des yeux et se rendit très bien compte de leurs mouvements. Tout d’abord, il vit que Franck Wingrove et Suvanée avaient disparu.

« Peut-être, se dit-il, l’Indienne l’aura-t-elle fait évader pendant que ces misérables s’acharnaient tous contre moi. Cher Franck ! je suis heureux qu’il ait pu échapper à ces