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Le cœur de la Main-Rouge en est joyeux. Donnez-lui à boire de l’eau de feu de Taos. Qu’il soit fortifié. Remplissez-le de vie, afin que la mort soit plus amère pour lui.

Son compagnon enleva le bâillon, et porta aux lèvres du patient une fiole remplie de wiskey de Taos. Le breuvage produisit l’effet désiré : à peine avait-il avalé le brûlant esprit, que le capitaine sentit son énergie ranimée.

« Chien de face-pâle, s’écria la Main-Rouge en brandissant un grand couteau espagnol devant les yeux de son prisonnier, vous verrez comment le grand chef des Arapahoes sait se venger des ennemis de sa race. Le Tueur-de-Panthères et l’Aigle-Blanc se sont moqués de la fille de la forêt, qui les a suivis de loin. Ils ont voulu braver la Main-Rouge, ils subiront cent morts. »

Wingrove était donc vivant, grâce à Dieu ! mais Suvanée aurait-elle le triste courage de représailles sans proportion avec le désappointement que le chasseur lui avait fait subir ?

« Chien ! continua l’Indien, vous avez refusé d’instruire les Arapahoes dans l’adresse des armes à feu ; mais vous leur fournirez une leçon avant de mourir… Vite, dit-il à sou compagnon, prépare-le pour le sacrifice. Ceci en blanc avec un centre rouge, le reste du corps en noir. »

Ces indications mystérieuses furent accompagnées de gestes explicatifs. Le sauvage traça, de la pointe de son couteau, un assez grand cercle sur la poitrine du prisonnier, comme il l’aurait fait sur l’écorce d’un arbre. L’égratignure, bien que superficielle, tira du sang ça et là. Au mot « le centre rouge », il piqua le milieu de ce cercle assez fort pour que le sang en sortît librement.

Le patient ne pouvait ni questionner le sauvage sur ses intentions ni lui reprocher sa cruauté, car le baillon avait été replacé entre ses dents. Du reste, toute protestation eût été inutile. Le visage de loup penché vers lui trahissait une cruauté réfléchie, et le capitaine aurait dédaigné de s’abaisser à implorer sa pitié.

Après avoir donné ces ordres, la Main-Rouge descendit de la butte par le petit sentier, et regagna la plaine. Pour la première fois, le capitaine eut la pensée de regarder dans cette direction.

Il aperçut un spectacle qui l’aurait rempli d’horreur en d’autres temps ; mais l’agonie de ses pensées était trop douloureuse pour laisser à ses émotions autant de vivacité. Le crâne sanglant d’un de ses compagnons, qui gisait scalpé sur le sol, ne lui arracha pas un cri. Il avait pleuré d’avance la mort de ses amis, et se croyait trop près lui-même de son heure suprême pour ne point s’efforcer de rester stoïque et digne.

Le crâne ensanglanté fut le premier objet qui frappa ses yeux. L’homme mort était facile à reconnaître ; sa rotondité, ses proportions courtes étaient celles de Patrick O’Tigg. Le capitaine aurait pu le croire endormi ; mais la couronne sanglante sur son crâne et le sang qui marbrait sa chemise empêchaient cette supposition. Si l’Irlandais dormait, ce ne pouvait être que du sommeil de la mort.

Non loin de là, un autre groupe attira l’attention du capitaine, il se composait de trois figures. L’une était couchée, les pieds liés et les mains attachées derrière le dos, étendue ainsi sur ses bras dans une posture gênante ; à sa tunique de peau de daim et à ses guêtres, il était facile de reconnaître Wingrove.

À cinq ou six pas de lui, Sure-Shot gisait à terre dans une attitude singulière. Il était étendu à plat ventre sur le sol, ses longs bras et ses longues jambes rayonnant autour de son tronc comme les rais d’une roue ; des poteaux fichés à terre et auxquels s’enroulaient les cordes liées autour des extrémités de son corps, montraient assez que cette curieuse posture d’aigle étendu n’était pas volontaire ; mais c’était bien là Sure-Shot, et il était vivant, car les mèches jaunes de sa chevelure volaient intactes au vent.

La troisième figure était celle de Suvanée. Debout auprès de Franck Wingrove, elle lui parlait ; mais l’impassibilité dont se piquent les Indiens empêcha le capitaine déjuger si elle adressait des menaces à son ami ou tentait de le servir.

Un autre regard sur la plaine permit à Édouard Warfield d’apercevoir son fidèle arabe, le cheval de Wingrove et les mules, gardés par un Indien. Le wagon était encore tout près de la base du monticule ; mais il ne put faire toutes ces observations sans être distrait de temps en temps par l’opération que faisait le sauvage laissé à ses côtés.

Elle fut d’abord inexplicable pour le capitaine. L’Indien lui noircit d’abord la figure,