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— Oui, s’écria le capitaine, il faut mourir les armes à la main. Descendons le sentier. »

Ils se cherchèrent à travers la fumée pour échanger leurs derniers adieux ; puis, armés de fusils, de leurs pistolets et de leurs couteaux, ils descendirent la butte le long des blocs de granit. En sa qualité de chef, le capitaine marchait le premier au danger.

À mesure que les assiégés approchaient de la ceinture de feu qui entourait le monticule, l’asphyxie, dont leur séjour sur la plateforme les avait menacés se changea en sensations de brûlure ardente, car les foyers les plus proches flambaient en crépitant sur les deux bords mêmes du sentier, ils passèrent à travers les flammes comme des salamandres et se précipitèrent tous, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au niveau de la plaine.

Un hurrah sauvage salua leur apparition. En un instant, ils furent entourés d’Indiens armés de piques et de massues. Pendant un court espace de temps, les assiégés tinrent ces sauvages en respect en formant un carré. Se tenant dos à dos, ils déchargèrent sur eux toutes leurs armes, et virent tomber à leurs pieds plusieurs de leurs ennemis. Mais, retrouvant leur sang-froid, ou plutôt excités par le désir de venger leurs morts, les Indiens se jetèrent en désespérés sur les quatre blancs, les séparèrent, et chacun de ceux-ci eut à lutter contre une trentaine d’hommes.

Le capitaine avait déjà fait des prodiges de valeur, quand un coup de massue, s’abattant sur sa tête, l’assomma.

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Lorsque Édouard Warfield revint à la vie, il ne put se rendre compte d’abord ni du lieu où il était, ni de la situation dans laquelle il se trouvait.

« Je ne suis donc pas mort ! se dit-il. Voilà le ciel ; mais je n’aperçois ni arbres ni champs. Je ne puis tourner la tête ni regarder autour de moi. Ai-je le délire de la fièvre ? Non ; je vois distinctement le ciel, je sens la chaleur du soleil ; c’est un vol de vautours qui tournoie au-dessus de ma tête et je suis debout sur mes jambes, appuyé tout de mon long sur un corps dur, comme si j’étais contre une muraille. Mes bras… mes bras me font mal, parce qu’ils sont étendus… ; mais je ne puis pas les ramener près de mon corps. Ma tête aussi est fixée. Je respire difficilement… Ah ! c’est un bâillon en bois qui est passé entre mes dents, et la corde qui le maintient entre dans la chair de mes joues… Ah ! je me souviens ! le combat, la butte Orpheline… Grand Dieu ! que sont devenus mes pauvres camarades !…

Après s’être attendri sur le sort de ses pauvres amis, le capitaine chercha vainement à se rendre compte du lieu dans lequel il était, et conjecturant qu’il se trouvait sur quelque éminence, puisque la seule vue perceptible à ses yeux était le ciel, il pensa que ces sauvages l’avaient transporté sur la plateforme de la butte Orpheline, pour faire de l’emplacement de la résistance celui de l’expiation.

En effet, le chant de mort, entonné par près de deux cents voix se fit entendre, et dès que ces notes gutturales eurent cessé de vibrer, le patient n’entendit plus qu’une conversation près de lui entre deux sauvages. Mais, ne comprenant pas leur idiome, il n’en saisit pas un seul mot, et ne put même apercevoir les deux interlocuteurs, parce que les têtes de ceux-ci étaient au-dessous du cercle que pouvait embrasser son rayon visuel. Il sentit une main se poser sur sa poitrine ; la froide lame d’un couteau effleura son cou et ses joues.

Le capitaine se méprit à ce geste, et ne le comprit qu’en se voyant délivré de la corde qui maintenait sa tête en arrière. Celle-ci était libre maintenant ; mais le morceau de bois restait toujours entre ces dents, maintenu par un nœud solide derrière sa nuque.

Édouard Warfield put alors regarder autour de lui, et s’aperçut que sa conjecture était juste ; il était au sommet de la butte Orpheline à un des angles de la plate-forme, dominant toute la vallée. Deux sauvages étaient à ses côtés : l’un était la Main-Rouge et l’autre un guerrier vulgaire.

Alors seulement aussi, le capitaine vit qu’il était dépouillé de tous ses vêtements au-dessus de la taille, et il se rendit compte de la gênante attitude qui engourdissait son sang aux extrémités de son corps. Ses jambes étaient attachées à un poteau droit, ses bras, étendus dans toute leur longueur, étaient maintenus par le même, procédé contre une barre transversale. Il était lié sur une croix !

Dès que ces signes de connaissance se montrèrent sur la figure du patient, la Main-Rouge dit, d’un air de triomphe :

« Ah ! ah ! très bien. La face pâle vit encore.