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Avant que le soleil ne se couche, il y en aura dix, car j’aurai pris les quatre scalps des squaws (femmes) qui sont sur la hutte Orpheline. »

Il n’y avait rien à répondre, sinon le « Viens les prendre » classique dont le silence digne du capitaine fut l’équivalent.

« Chiens ! cria l’Indien, descendez et livrez-nous vos armes. La Main-Rouge, à cette condition, respectera votre vie. Si vous résistez, les couteaux de ses guerriers arracheront la chair de vos os. Vous mourrez cent morts, et le Grand-Esprit des Arapahoes sourira au sacrifice.

— Et que nous arrivera-t-il si nous ne résistons pas ?

— Vos vies seront épargnées. La Main-Rouge le jure sur la foi d’un guerrier.

— Foi d’un coupe-gorge ! murmura Sure-Shot. Il veut seulement nous approcher pour nous prendre nos scalps sans avoir besoin de livrer bataille.

— Pourquoi la Main-Rouge épargnerait-il nos vies ? demanda le capitaine. N’a-t-il pas dit que tous les hommes blancs sont ses ennemis ?

— C’est vrai ; pourtant vous pourriez être ses alliés. La Main-Rouge a un projet.

— Le grand chef peut-il nous l’apprendre, ce projet qui nous intéresse ? demanda Édouard Warfield en faisant des signes de la main pour calmer l’impatience de Sure-Shot.

— Voilà, reprit l’Indien. Ses guerriers ont pris des armes à feu ; mais ils ne savent pas s’en servir. Nos ennemis, les Utahs, en ont appris le maniement ; ce sont des trappeurs blancs qui les ont instruits, et les rangs des Arapahoes ont été éclaircis par leurs terribles balles. Si le chef à face pâle et ses trois hommes consentent à demeurer avec la Main-Rouge et à apprendre à ses guerriers le grand secret des armes à feu, leurs vies seront respectées. La Main-Rouge honorera le jeune chef de soldats et l’Aigle blanc de la forêt.

— D’où cet animal connaît-il le nom que me donnent les Indiens du Tennessee ? murmura Franck Wingrove.

— Mais si vous résistez, continua l’Indien, je vous le répète : les couteaux de mes braves enlèveront la chair vivante de vos os.

— Patati, patata ! dit l’Irlandais qui, ne sachant pas une syllabe d’espagnol, n’avait rien compris aux discours de la Main-Rouge. Que barbote donc ce vieux singe d’Indien ?… Il se démène comme un convulsionnaire. Un peu de plomb froid au travers de son corps le calmerait. En vérité, je crois que la charge de mon mousquet pourrait l’atteindre. Il appartenait au sergent Johnson et on le considérait comme le fusil à plus longue portée de tout le fort. Si je l’essayais sur ce vieux diable ? Me le permettez-vous, cap’tain ? »

Édouard Warfield délibérait avec Franck Wingrove et Sure-Shot, et il n’entendit point l’Irlandais qui, prenant le silence de son chef pour un consentement, visa la Main-Rouge. La détonation fit tressaillir les trois amis, et un cri de triomphe poussé par Patrick s’éleva :

« Hurrah !… sur mon âme, il est par terre.

La Main-Rouge était debout à côté de son cheval qui se tordait dans les dernières étreintes de la mort.

« Parbleu, cap’tain, si j’avais mieux visé, n’était-ce pas là un superbe coup de fusil ? dit l’Irlandais un peu vexé de n’avoir réussi qu’à demi.

— Un coup de fusil qui peut nous coûter nos scalps, répondit Édouard Warfield. Mais ce qui est fait est fait, point de reproches, Patrick.

— Ha ! ha ! ha ! cria la Main-Rouge avec un rire satanique, vengeance sur vous. »

Et brandissant son poing fermé au-dessus de sa tête, le chef sauvage se retira dans le cercle de ses guerriers.

Tout à coup, deux partis d’indiens se séparèrent, et prenant des directions opposées, se mirent à tourner au grand galop autour de la hutte. Ils avaient découvert la retraite des montures des assiégés et voulaient essayer un stampede pour ôter aux blancs toute possibilité de retraite.

Il était très important pour ceux-ci de ne pas laisser prendre les animaux ; aussi Sure-Shot, le chasseur et l’Irlandais allèrent-ils du côté où ceux-ci étaient cachés, laissant le capitaine en observation sur la plate-forme.

Pendant ce temps, les Indiens faisaient le stampede, c’est-à-dire poussaient leur cri de guerre, et galopaient autour de la hutte en frappant leurs boucliers, en brandissant leurs armes, pour effrayer les animaux, leur faire briser leurs liens et les pousser à s’enfuir.

Les mules, à cet horrible bruit, se cabrèrent. Les chevaux hennirent ; mais pas une rêne ne se cassa. Ils restèrent tous groupés autour de l’arbre à la grande joie des assiégés.