Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/446

Cette page n’a pas encore été corrigée

pouillé. Édouard Warfield était trop au fait des mœurs indiennes pour s’y tromper : tous ces pauvres gens avaient été scalpés !

Le tableau navrant qui se présentait ainsi à l’observation du capitaine lui expliquait les faits qui avaient amené cette catastrophe. La fusillade que l’écho leur avait apportée jusque dans les profondeurs du canon avait arrêté le dernier wagon, peut-être en retard, de la caravane. L’escorte ou les émigrants avaient dû y répondre, car Édouard Warfield aperçut quelques Indiens prosternés ou accroupis auprès de quelques morts ou blessés de leur race ; mais, somme toute, ils étaient restés maîtres du champ de bataille et se partageaient en ce moment le butin.

Franck Wingrove, poussé par la curiosité, rejoignit le capitaine à ce moment même, et quand il eut vu l’horrible spectacle, lui-même ne put s’empêcher de s’écrier :

— À qui appartenait ce wagon ? Holt et ma pauvre cousine Lilian ne l’occupaient-ils pas ? Oh ! les misérables ! » et il montra le poing aux Indiens.

« Soyons hommes ! » dit le capitaine en serrant la main de son ami et en s’efforçant de lui donner le bon exemple, mais la main d’Édouard Warfield tremblait, et deux larmes brillaient au coin de ses yeux.

Les deux amis furent d’ailleurs rappelés aux difficultés de leur propre situation par un brusque mouvement des Indiens. Ceux qui étaient à cheval se séparaient des autres et s’avancaient en troupe dans la direction de la butte. Le chasseur et le capitaine comprirent la terrible signification de cette chevauchée.

Quand ils avaient parlé de Lilian, ils avaient oublié le péril et s’étaient dressés debout, de toute leur hauteur. Les Indiens les avaient aperçus !

Ils regrettèrent leur distraction funeste, mais le capitaine retint Frank Wingrove qui voulait descendre pour informer de la situation leurs deux camarades. « Les Indiens sont encore à cinq milles de distance, lui dit-il ; nous avons le temps de tenir conseil sur nos moyens de résistance, s’il y en a. Croyez-moi, Wingrove, notre position est désespérée, mais il ne faut pas que nous quittions le poste où nous sommes. Les Indiens seront forcés de nous y donner une sorte d’assaut, et les quatre canons de nos fusils les tiendront peut-être en respect.

— Vous avez raison, dit Franck Wingrove, et maintenant, je suppose qu’il est temps d’avertir nos camarades, car ces enragés-là s’avancent de toute la vitesse de leurs chevaux. »

Ces deux déserteurs furent désagréablement surpris par l’annonce d’un danger inattendu. Mais ils étaient trop braves pour perdre leur sang-froid devant la nécessité d’une bataille.

D’après l’ordre du capitaine, l’on monta sur le plateau tous les bagages qui furent destinés à faire un parapet à la petite plateforme. On entassa tout : havresacs, morceaux d’antilope, sacs de provisions, pour établir ce bastion improvisé.

Mais la dure nécessité d’abandonner les animaux s’imposait aux futurs assiégés. Ils ne pouvaient les faire monter sur la plateforme, car ç’aurait été en faire le but des flèches indiennes. Il fallait donc les laisser à la base du monticule, là où ils étaient cachés dans un bouquet d’arbres. Si la petite troupe parvenait à se défendre jusqu’à la nuit, sans que la retraite des bêtes fût découverte par les Indiens, peut-être aurait-on un moyen de s’enfuir dans l’obscurité, grâce à la vaillance de ces braves animaux.

Le bruit de la chevauchée indienne s’approchait de plus en plus. Les quatre compagnons remontèrent par le sentier encaissé entre les blocs de granit, se serrèrent tous la main, et se couchèrent derrière les bastions, attendant l’assaut.