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qu’un scalp enlevé… Quant au chat à neuf queues, je vous ferai éviter ses caresses qui cinglent, en vous déguisant avant que nous n’abordions les troupiers de l’escorte..

— Alors, cap’tain, tout ira bien, » dit l’Irlandais qui avait gardé un silence modeste pendant ce petit débat.

Le voyage se continua donc, les cavaliers alternant avec les piétons fatigués sur les deux seules montures disponibles.

Ils passèrent ainsi devant le fort de Bent, tombé en ruines, et arrivèrent près de la rivière d’Huerfano. Comme ils l’avaient prévu, ils trouvèrent là les traces de la caravane, et elles paraissaient assez fraîches pour que cette vue ranimât leur espoir.

À une dizaine de milles après leur approche de la rivière, au sortir d’une forêt de cotonniers, ils arrivèrent, en effet, à un endroit de campement, récemment foulé. De toute évidence, la caravane avait campé là la nuit précédente, et l’atteindre n’était désormais qu’une question de vitesse et d’heureuse chance.

On fit du feu dans un coin de la forêt de cotonniers, et l’on s’établit autour pour déjeuner.

Pendant que tous quatre étaient assis autour de ce feu de bivouac, des détonations lointaines se succédèrent.

« Est-ce que la caravane serait attaquée par les Indiens ? » se dit tout haut Sure-Shot en tendant l’oreille.

« Mais non, » répondit Franck Wingrove en sautant sur son fusil qui était accroché derrière lui à une branche ; « seulement ses chasseurs se laissent emporter par la facilité qu’on trouve ici de tirer sur un bon gibier. Voyez comme il est peu effrayé ! Ces deux antilopes qui trottent là-bas sont venues vous regarder à travers les buissons presque jusque sous le nez. Il ne sera pas dit que j’aurai vu de si belles bêtes sans les avoir saluées d’un coup de fusil. »

Sans écouter les représentations d’Édouard Warfield, le chasseur s’élança à la poursuite des antilopes.

Dix minutes après le départ de Franck Wingrove, un coup de fusil partit dans l’épaisseur de la forêt, et le chasseur revint bientôt, portant une antilope sur ses épaules.

Sure-Shot et l’Irlandais poussèrent un hurrah de triomphe et s’emparèrent de la bête pour la dépouiller et la dépecer ; mais le capitaine, qui connaissait la physionomie de son ami, y vit une telle expression de trouble si peu en rapport avec l’heureux succès de sa chasse, qu’il le prit à part pour l’interroger sur la cause de l’altération de ses traits.

« Sont-ce les Indiens ? lui demanda-t-il.

— Non, et c’est presque aussi extraordinaire qu’un rêve, ce que je vais vous raconter. Vous n’allez pas me croire, capitaine. Pendant que j’étais absent, quelqu’un est-il venu près de notre camp ?

— Personne, j’en suis sûr. J’avais l’oreille aux aguets.

— Elle venait pourtant de ce côté, murmura Franck Wingrove.

Elle… C’était donc une femme ?

— Tenez, dussiez-vous me rire au nez et m’accuser d’avoir des hallucinations, je vais tout vous raconter : au moment où je chargeais l’antilope sur mes épaules après l’avoir tuée, j’ai vu glisser une Indienne à travers les buissons. Elle paraissait venir d’ici, et en me voyant elle s’est sauvée. Me croiriez-vous, capitaine ? Que je sois damné si ce n’était pas cette folle de Chicassaw. Elle se sera jointe à quelque tribu errante, et sa présence dans ces forêts prouve qu’elles sont hantées par des Indiens.

— Eh bien ! cette rencontre nous commande un redoublement de prudence, répondit le capitaine. N’effrayons pas nos compagnons, mais levons notre camp sous le prétexte que votre coup de fusil a pu renseigner quelque Indien, s’il s’en trouve dans ces parages, sur notre établissement.

Le feu fut éteint ; l’on chargea sur l’une des mules l’antilope à demi dépouillée, et après avoir marché pendant un mille dans l’épaisse forêt des cotonniers, les quatre hommes se trouvèrent sur un terrain ouvert, parsemé de loin en loin de hauts bouquets d’arbres. Puis ils arrivèrent à un de ces cañons (gorges) à travers lesquels coule la rivière de l’Huerfano.

Ils n’hésitèrent pas et s’engagèrent dans les mâchoires du défilé. C’était une terrible brèche ; les murs de pierre s’élevaient perpendiculairement à plus de deux cents pieds, et telle était au-dessus la hauteur des pics de la montagne que le ciel paraissait comme une petite bande azurée. Dans le fond, l’Huerfano grondait comme un torrent et écumait sur le bord de son lit trop étroit.

Dès qu’ils se furent enfoncés dans le cañon,