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que ce soit pour moi et non pas pour une autre.

— Parfaitement. N’êtes-vous pas de ses amies ?

— Certes ! répliqua-t-elle avec l’accent de la sincérité.

— Eh bien ! il n’y arien de plus naturel. M. Armstrong en est à sa première expédition. Comme tout jeune officier aurait fait à sa place, il s’est dit qu’il n’en reviendrait peut-être pas…

Nettie était subitement devenue toute pâle, et sa jolie petite figure présentait l’image de la consternation.

Elle leva sur le capitaine ses beaux yeux bleus, en disant :

« De quoi s’agit-il ?

— Il m’a dit qu’il avait une amie en qui il avait toute confiance, que cette amie c’était vous, et il m’a chargé de vous remettre une lettre…

— Et cette lettre, où est-elle ? demanda Nettie non sans quelque impatience.

— La voici, dit le capitaine Jim en la tirant de sa poche. Ne faites pas attention à ce qui est écrit sur l’enveloppe… Ces jeunes officiers font toujours leur testament quand ils partent en expédition, mais cela ne tire pas à conséquence.

— De grâce ! qu’y a-t-il sur l’enveloppe, capitaine Saint-Aure ? Dites-le-moi, je vous en prie… Je n’ose pas y regarder devant tout ce monde.

— Il y a : « Pour être ouvert seulement si je suis pris ou tué par les Indiens. » Ce sont là les manières de ces blancs-becs… Quand il reviendra, il sera diablement confus d’avoir écrit ces deux lignes.

— Quand il reviendra, — oui, mais reviendra-t-il ?… et, en tout cas, quand peut-il être de retour ?

— C’est difficile à dire. L’objet de l’expédition est justement de reconnaître s’il y a des Indiens aux environs, et en quel nombre, Mais Armstrong est en bonne compagnie. Il est avec son ami le lieutenant Van Dyck, plus une trentaine de dragons et d’excellents guides indiens. Van Dyck a deux ou trois ans dans la prairie et doit connaître son affaire…

— Si ce n’était que lui, je n’aurais pas grande confiance ! répliqua miss Nettie. Il n’est pas sorti de l’École, vous savez ? »

Le capitaine Jim se mit à rire.

« Pas plus que moi, ma chère enfant, pas plus que les trois quarts de nos meilleurs officiers.

— Je croyais que c’était indispensable pour faire un bon soldat ! dit étourdiment la fillette.

— Ne vous excusez pas. C’est une opinion fort répandue, je le sais. Mais elle n’en est pas plus juste. West-Point n’a jamais fait un soldat. L’éducation qu’on y reçoit est seulement une excellente préparation pour le devenir, voilà la vérité. N’allez pas croire, au moins, que je parle ainsi par envie ! Mon frère est sorti de l’École, et c’est le meilleur officier que je connaisse. Mais il est parfaitement possible d’être un excellent officier sans passer par là.

— Et dans quelle catégorie placez-vous M. Van Dyck ? » demanda tout à coup la jeune fille.

« Voilà miss Juliette Brinton qui commence ; nous ferons mieux de garder le silence, » dit-il pour se tirer d’affaire sans donner d’accroc à la vérité.

Juliette n’eut pas plus tôt achevé de chanter, d’une voix assez juste, mais sans expression, la romance si populaire en pays anglo-saxon : Home, sweet home, que mistress Saint-Aure attaqua une valse de Schubert.

Aussitôt le lieutenant Hewitt se précipita pour inviter miss Nettie Dashwood à danser avec lui, et le capitaine Jim se trouva ainsi dispensé de répondre à la question gênante qui lui avait été posée.

Dès lors, ce ne fut plus qu’une succession de quadrilles et de polkas, de valses et de galops, auxquels vinrent même se mêler un ou deux reels virginiens.

Il était minuit passé, et le cotillon était dans son plein quand un éclair vint tout à coup faire pâlir les lampes qui éclairaient la fête, et un coup de tonnerre formidable ébranla la maison jusque dans ses fondements. Tout le monde s’arrêta et courut instinctivement aux fenêtres ouvertes.

Mais, presque aussitôt, une violente rafale, qui accourait accompagnée d’une pluie battante et même de gros grêlons, mit en tel danger les lumières et les toilettes, qu’on s’empressa de barricader tout, et la danse, un instant interrompue, reprit au milieu du vacarme de la tempête.

Nettie Dashwood était devenue toute pâle, et son cavalier, le sous-lieutenant Hewitt, s’empressait naturellement à la rassurer.

« Ce n’est qu’un orage, disait-il ; mais, en