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Lorsqu’ils arrivèrent dans cette dernière ville, ils apprirent que la caravane était partie depuis quinze jours, mais on put les renseigner sur sa direction probable : elle devait aller en Californie, le long de l’Arkansas jusqu’aux montagnes Rocheuses, à travers la vallée de l’Huerfano et les passes Robideau et Coochotopa ; puis traverser le Colorado et gagner l’ancienne route espagnole allant au cœur de la Californie.

C’était une caravane composée de chercheurs d’or pour la plupart.

Les deux amis apprirent avec certitude que les Holt en faisaient partie. Bien que celle-ci comptât dans sa bande plus d’un rude squatter, la taille herculéenne de Holt l’avait fait remarquer, et l’on se souvenait encore à Van Buren de la beauté de sa fille et de la laide face de renard qui les accompagnait. Ce fut par cette image peu flatteuse que les personnes qui donnèrent ces renseignements désignèrent à l’unisson John Stebbins.

Moins de vingt heures après leur arrivée à Van Buren, les deux amis en repartirent pour se lancer dans le désert. La seule addition faite au train des deux compagnons fut une paire de mules solides, chargées des bagages.

Lorsqu’ils eurent atteint le territoire des buffles, le capitaine et le chasseur voyagèrent plutôt de nuit que de jour. Ils adoptèrent cette combinaison pour sauver leurs scalps, et partant leur vie, car le territoire des buffles sur l’Arkansas était celui des tribus indiennes hostiles.

Ce système de locomotion était donc commandé par la plus simple prudence.

Guidés par les traces des chariots de la caravane, les deux compagnons avançaient rapidement. Lorsque la lune brillait, ils marchaient presque aussi vite qu’ils eussent pu le faire de jour. Les nuits sombres les retardaient un peu ; mais cependant, ils gagnaient du temps sur la caravane, et s’en apercevaient en voyant les traces plus fraîches et surtout en faisant le compte de ses campements. Par leur nombre, ils pouvaient s’assurer qu’ils brûlaient ses étapes. Ils avaient donc l’espoir de finir par la rencontrer, lorsque la monotonie de leur voyage fut variée par un incident inattendu.

Ils étaient arrivés près du bosquet appelé les « Big-Timbers » (les grands bois de charpente) et, partis deux heures avant le coucher du soleil, ils s’avançaient dans la direction ouest sur une prairie ondulée dont les petits coteaux couraient, par mauvaise fortune, transversalement à leur route. Ils avaient donc constamment à monter et à descendre.

Les deux amis furent sur le point de s’arrêter dans quelque creux pour attendre le coucher du soleil ; mais, n’apercevant aucune trace fraîche d’indiens, ils poursuivirent leur route lorsqu’en montant une côte et les yeux fixés sur sa crête, ils aperçurent, à peu près à un demi-mille, au sommet d’une seconde petite côte, deux formes humaines.

« Voilà des Indiens ! s’écria le chasseur.

— Eh ! non, ils seraient à cheval, et ce sont là deux piétons. Aucune draperie ne flotte autour de leur buste, et puis, ils n’ont pas la tournure indienne.

— Comme ils sont disproportionnés ! dit Franck Wingrove en riant. Les deux ne font pas la paire. L’un sec et haut comme un échalas ; l’autre court et rond comme un petit tonneau. Au nom du vieux Nick, qui peuvent-ils être ? Si vous tiriez de son étui votre grande lunette de voyage, capitaine ? Voilà le moment de nous servir de cet outil dont je n’avais pas jusqu’ici soupçonné l’utilité.

Édouard Warfield avait à peine eu le temps de faire jouer les tubes de la lorgnette pour la mettre au point, que l’impatient chasseur lui criait :

« Eh bien ? eh bien ?

— Voici, répondit le capitaine tout en continuant de regarder. Tous les deux sont vêtus d’une jaquette et d’un pantalon ; le petit a une casquette de couleur sombre, et le grand, un chapeau à haute forme ; mon Dieu ! oui, c’est une singulière coiffure dans ces prairies. La veste du petit est bleu de ciel, celle de l’autre, vert bouteille. Mais le soleil couchant donne en plein sur les verres de la lunette ; cela m’éblouit et m’empêche de bien voir ; néanmoins, Franck, nous pouvons être rassurés ; ce ne sont pas là des Indiens. Je puis toujours vous achever leur signalement. Ne me demandez rien sur leur figure, puisque je les vois de dos… Le grand porte deux fusils, un sur chaque épaule. Le petit… ah ! quelle singulière allure ! il pousse quelque chose, je ne sais quoi, devant lui ; son corps est penché contre la colline à un angle d’au moins quarante-cinq degrés avec l’horizon. Qu’est-ce que cela peut être, que traîne-t-il