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« La pauvre bête n’est pas morte depuis deux heures. Voyez, son sang n’est pas encore figé. Peut-être même y a-t-il un reste de chaleur dans cette vieille carcasse.

— Vous êtes sûr qu’il n’a été tué que ce matin ?

— Oh ! très sûr ; voyez, continua le chasseur en levant une des jambes de la bête et en la laissant retomber, souple comme une anguille ! Si elle avait été tuée la nuit dernière, ses membres seraient raides depuis longtemps.

— Eh bien ! en mettant la chose au pire, ils n’ont guère que quatre heures d’avance sur nous. Vous dites que le Mud-Creek a beaucoup de sinuosités ?

— Il est aussi crochu que la jambe de derrière d’un racoon.

— Et l’Obion, dans lequel il se jette ?

— De même ; il ressemble à la queue d’un chien hargneux ; et près du Mississipi, il ne va pas plus vite qu’une limace. Le courant ne les aidera pas beaucoup. Ils auront à ramer un bout de temps avant d’atteindre le Mississipi. J’espère que ce damné Mormon gagnera des ampoules à ses vilaines pattes.

— Je le souhaite de tout mon cœur, » répondit le capitaine, et sur ce vœu peu charitable, ils sautèrent en selle et partirent par le sentier qui conduisait à l’embouchure du Mud-Creek dans l’Obion.

L’important était d’arriver à l’embouchure de cette rivière avant la caravane des émigrants ; car si le canot y pouvait parvenir avant les cavaliers, ceux-ci ne pourraient savoir si l’embarcation avait remonté ou descendu le Mississipi, et ne sauraient plus de quel côté diriger leurs recherches.

Mais, s’ils avaient l’heureuse chance de voir la direction du canot, ils devaient le suivre jusqu’à son point de débarquement, et là, tandis que Franck Wingrove ne voyait que vengeance, le capitaine envisageait seulement la possibilité de revoir Lilian, de se lier avec Holt, de gagner l’affection du squatter à l’aide de bons procédés et de le suivre partout où il voudrait s’établir, fût-ce sur les bords de l’océan Pacifique.

Animés de motifs si divers, mais également intéressants pour eux, les deux jeunes gens firent une telle diligence, qu’ils arrivèrent à minuit près des rives du Mississipi, au confluent de l’Obion. Le terrain sur lequel ils chevauchaient alors était à peine élevé au-dessus de niveau du fleuve, et il était couvert d’une forêt de cotonniers et d’autres arbres aimant l’humidité. Comme ces arbres envahissaient tous les bords marécageux du fleuve, ils interceptaient la vue. Afin d’embrasser du regard tout le cours d’eau, il fallait monter sur un des plus élevés. Franck Wingrove n’ayant pas, selon son expression, des facultés d’écureuil, le capitaine, mieux fait à cette gymnastique, grimpa aussi haut que possible sur un cotonnier énorme et commença son office de vedette.

Son poste était bien choisi. De son observatoire aérien, il voyait le confluent de l’Obion dans le Mississipi, si large à cet endroit que, n’eût été son courant, on eût pu le prendre pour un grand lac. Mais il y veilla en vain jusqu’à l’aurore, aucun canot ne déboucha des eaux brunes de l’Obion dans les eaux bleues du Mississipi.

Il n’y avait plus à se le dissimuler, la partie était perdue. Les fugitifs devaient avoir dépassé depuis longtemps les limites de l’État du Tennessee, mais s’étaient-ils dirigés sur les routes du Missouri ou sur celles de l’Arkansas ? Étaient-ils allés vers le nord ou vers le sud ? Les deux amis savaient que les Mormons se servaient de routes particulières, et que d’autres toutes nouvelles, avaient été créées par des explorateurs militaires, ce qui compliquait encore la question.

Tristement, les deux voyageurs durent se résoudre à reprendre le chemin de Swampville. Leur seul espoir était maintenant dans la lettre que Lilian avait promis d’écrire à son cousin, et loin d’être découragés de leur poursuite par ce premier insuccès, le capitaine et le chasseur se jurèrent de reprendre leur entreprise dès que cette lettre si désirée leur donnerait le moindre indice de la direction à suivre.